Le président argentin Mauricio Macri a profité de sa visite au Forum de Davos pour rencontrer à Paris le président français Emmanuel Macron dans le but de rentrer en Argentine avec un traité de libre-échange signé entre l’Union européenne et le Mercosur sous le bras. Le président Macron, « au nom des intérêts des éleveurs français », a fait échouer les pourparlers. Retour sur les difficultés économiques de l’Argentine.
Photo : L’Élysée
Le Marché commun du Sud comprend le Paraguay, l’Uruguay, le Venezuela, le Brésil et l’Argentine. L’idée originale était la conformation d’un bloc politico-économique d’intégration sud-américaine qui faciliterait le commerce entre ces pays et leur permettrait de faire face aux exigences politiques et économiques du néolibéralisme états-unien et européen. Les dirigeants de ces pays étaient alors considérés comme « progressistes », de centre gauche ou de gauche [1]. Mais ces dernières années, la droite a repris le pouvoir, par un coup d’État au Paraguay (Federico Franco) et au Brésil (Michel Temer), par des élections en Argentine (Mauricio Macri). Première action de la nouvelle direction politique du Mercosur : le Venezuela en est « suspendu » lors d’une manœuvre contestable. Ensuite, un rapprochement avec l’Alliance du Pacifique [2], l’entité politico-économique plus liée au néolibéralisme et proche des États-Unis. Bref, la fin d’une intégration latino-américaine.
À Paris, le président Macri cherchait une « bonne surprise »
Le président Macri était venu à Paris en clamant que l’Argentine « était de retour dans le monde », sous-entendu après une longue période de ce qu’il appelle « le populisme » des années Kirchner. La bonne surprise serait de rentrer en Argentine avec le traité UE-Mercosur signé dans sa poche. Un traité de libre commerce entre les deux blocs tendrait à fortement réduire les taxes d’importation réciproques. À Paris, Mauricio Macri a d’abord rencontré les patrons du MEDEF pour leur faire miroiter les « grands bénéfices à réaliser en Argentine », puis a déjeuné, invité par le groupe Rothschild. Il s’est ensuite rendu au Palais de l’Élysée pour rencontrer le président Emmanuel Macron.
Le président Macron met fin aux espoirs argentins
Le traité entre les deux blocs se négocie depuis déjà de nombreuses années. L’Allemagne et l’Espagne y sont plutôt favorables car ils espèrent vendre leurs produits manufacturés sur le vaste marché sud-américain. En revanche, la France, la Pologne et l’Irlande, grands pays agricoles, craignent pour leurs agriculteurs et leurs éleveurs. En effet, non seulement les produits américains (viandes, éthanol, vins, laitages, céréales) seraient ici plus que compétitifs mais le soja et le maïs cultivés au Brésil et en Argentine sont des OGM, interdits en Europe. La veille de la rencontre entre les deux présidents, M. Macron avait tenu à rassurer les secteurs agricole et bovin français : « Un accord avec le Mercosur pourrait être déstabilisant pour la France […] dans ces secteurs d’excellence […] Il y a des lignes rouges que la France ne souhaite pas franchir ». C’est ce que le président Macron a répété au président argentin : « Il y a des contraintes réciproques » dont, pour la France, « la défense de sa filière en particulier bovine ». Le Mercosur ne peut pas vraiment lutter contre la Politique agricole commune européenne (la PAC), qui subventionne fortement les agriculteurs et les éleveurs. Le président Macri est rentré à Buenos Aires déçu et sans traité. Les négociations se poursuivront à Bruxelles…
Business is business : de bonnes affaires tout de même pour la France
Pour montrer sa bonne volonté, le président Macri a décidé de payer à l’entreprise Suez les 350 millions d’euros que celle-ci réclame depuis longtemps à l’Argentine suite à son expulsion de ce pays par Néstor Kirchner. Jusqu’ici, l’Argentine refusait de payer car ses gouvernements estimaient que Suez n’avait pas respecté son contrat. Bonne affaire donc pour cette transnationale. Autres bonnes affaires : l’Argentine va acheter quatre frégates maritimes (pour 300 millions) et cinq avions Étendards (construits entre 1978 et 1982 mais « modernisés », pour 12,5 millions).
L’étrange opinion de M. Macri sur l’origine des Sud-Américains
Lors d’un discours, le président argentin a déclaré que « tout le monde sait que les Sud-Américains sont tous d’ascendance européenne… », cette déclaration étant supposée inciter le président français à signer le traité… Les quelques millions d’Indiens ayant survécu aux massacres commis par les Européens seront enchantés de l’apprendre ! Sans oublier les migrants du Moyen-Orient, de l’Inde et de l’Asie, aucun n’étant Européen que l’on sache… Cette déclaration cache un désir frénétique du gouvernement actuel de se rattacher au « Premier monde », quitte à prendre bien des raccourcis avec l’Histoire…
Une lettre ouverte au président Macron
L’Assemblée de Citoyens Argentins en France (ACAF) [3] a envoyé au président Macron une lettre ouverte exprimant sa déception et ses craintes « d’une dérive autoritaire » en Argentine. « Nous avons remarqué avec stupeur, dès la prise de fonctions du nouveau Président, que son intention était de détruire, non seulement les acquis de la période venant de s’écouler, mais aussi de tous ceux ayant été obtenus depuis la chute de la sinistre dictature en 1983… » Cette lettre a été signée par des dizaines de personnalités, d’associations, et de citoyens français et latino-américains.
Le président Macri en difficultés dans son pays
Dans sa présentation au président Macron, M. Macri avançait que « cet accord servirait à réduire la pauvreté ». Les faits montrent autre chose. Lors de sa campagne électorale, le candidat Macri avait annoncé qu’il ne toucherait pas aux retraites ni ne dévaluerait le peso. À peine élu, les premières mesures économiques qu’il prit furent la dévaluation du peso et une réduction drastique des montants des petites retraites et des allocations sociales ! Lorsque « les vieux » descendent dans la rue pour protester, ils se font matraquer… Depuis l’arrivée du président Macri, des dizaines de milliers de personnes ont perdu leur emploi, les services publics, l’essence et les transports ont augmenté de 200 à 800 %, les exportations restent stationnaires alors que les importations augmentent fortement mettant les entreprises locales en difficulté, etc. Pas étonnant que sa cote de popularité soit descendue de neuf points en peu de temps, à 42 %…
Jac FORTON
[1] Néstor et Cristina Kirchner en Argentine, Lula da Silva au Brésil, Hugo Chávez au Venezuela, Fernando Lugo au Paraguay et « Pepe » Mujica en Uruguay [2] Mexique, Colombie, Chili, Pérou. [3] Assemblée de Citoyens Argentins en France (AACF)