Du 13 au 15 janvier, le secrétaire général de l’ONU a passé deux jours sur le territoire colombien dans le cadre du processus de paix entre le gouvernement et l’ex-guérilla FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie). Menace sur la Colombie ? « Rien ne peut justifier la violence armée », a déclaré António Guterres lors de sa récente visite dans ce pays destiné, dans les années 60, à devenir la « vitrine-exposition » de ce que l’aide des États-Unis pouvait apporter à l’Amérique latine.
Photo : ONU/Misión de Verificación de la ONU en Colombia
Lancé en 2016, l’accord de paix a partiellement atteint son but. L’un des ses axes était de permettre aux ex-guérilleros de déposer leurs armes et de se reconvertir dans la vie politique. Ainsi « FARC » est devenu, en août dernier, le nom du nouveau parti dont son ancien chef, Rodrigo Londoño, alias Timochenko, sera candidat à la présidentielle de mai 2018. L’accord prévoit également que dix de ses candidats aux législatives entreront de droit au Parlement.
Mais le débat politique de fond a été obscurci, le 10 janvier dernier, par une série d’attaques attribuées aux combattants d’une organisation beaucoup moins hiérarchisée que ne l’étaient les FARC : l’ELN (Armée de libération nationale). Au point qu’un climat délétère s’est installé, propre à susciter des interrogations quant à la manière dont pourrait se dérouler la campagne pour la prochaine élection présidentielle. « J’exprime ma profonde préoccupation après les événements violents de ces derniers jours et face à une possible escalade des affrontements. » C’est par ces mots que s’est lamenté António Guterres après les 100 jours du cessez-le-feu, alors que la reprise des négociations était programmée.
L’ELN, qui compte environ 2 000 guérilleros et 450 membres emprisonnés, est soupçonné d’être à l’origine des explosions qui ont endommagé le gazoduc de Caño Limon, relié au deuxième plus important champ pétrolifère du pays, forçant l’arrêt du pompage. Deux soldats de l’armée colombienne ont également été blessés par une grenade dans une base navale de la province d’Arauca. De son côté, ECOPETROL, la compagnie pétrolière nationale, a dénoncé l’attaque d’une de ses installations située à Aguazul, dans la province de Casanare.
La réponse du président Juan Manuel Santos ne s’est pas fait attendre : « D’une façon inexplicable, le ELN a non seulement refusé de revenir à la table des négociations, mais il a en plus repris les attaques terroristes le jour même où devait débuter le nouveau cycle des négociations. Face à cette situation, j’ai parlé avec le négociateur en chef du gouvernement à Quito, Gustavo Bell, afin qu’il revienne immédiatement à Bogota pour évaluer l’avenir du processus. Parallèlement, j’ai réitéré à nos forces armées l’ordre de répondre avec force à cette agression, pour protéger la vie et l’honneur des Colombiens, car c’est leur devoir constitutionnel. »
Sur ce propos, il n’est pas inutile de rappeler ce qu’avait dit l’un des plus grands experts de l’Amérique latine : « Depuis quelques années tous les pays d’Amérique latine ont pris conscience qu’ils peuvent se développer en une génération et assimiler les méthodes de production qui leur permettront de vivre mieux. Il faut admettre que ces pays doivent progresser et il faut les y aider, sinon ils seront forcés d’adopter des méthodes sacrifiant la liberté politique au développement économique et aucune force de répression ne réussira à arrêter le mouvement. »
C’est en ces termes visionnaires que s’exprimait l’économiste Raul Prebisch en septembre 1964. Et c’est dans cette perspective d’aide internationale que l’ONU, à travers la visite de son secrétaire général, soutient l’effort de paix prôné par le président Santos. Ce dernier a exprimé sa reconnaissance envers António Guterres, tout en soulignant que la clé du processus de paix, interrompu par les attaques de l’ELN, a été le « système de surveillance et de vérification » dirigé par l’ONU.
Il faudrait voir dans cette aide une prise de conscience internationale sur une situation extrêmement dangereuse. En effet, la suspension du cessez-le-feu risque de disloquer non seulement le processus de paix, mais aussi l’équilibre de la région, notamment avec les troubles politiques et sociaux qui plongent dans le chaos depuis des mois le pays voisin, le Venezuela. Une crise avec « d’énormes répercussions » selon le président Santos : « La Colombie ressent l’impact de la présence de centaines de milliers de personnes qui quittent le Venezuela », a-t-il dit.
Cette situation pourrait s’aggraver dans le contexte des prochaines élections du 27 mai. Juan Manuel Santos arrive à la fin de son mandat, et le processus de paix sera certainement au cœur de la campagne électorale pour sa succession. Si le parti de Alvaro Uribe réussit à capter l’attention de l’électorat, un autre pan de l’accord conclu avec les guérilleros risque de tomber : l’ex-président, devenu sénateur, est un fervent opposant aux négociations car les Farc et autres organisations rebelles restent ses ennemis jurés.
Par conséquent, aujourd’hui personne n’est capable de dire qui sera le responsable – ou les responsables – de faire respecter un dialogue démocratique fondé sur l’égalité citoyenne, et sauvegarder en même temps la sacro-sainte stabilité régionale. En attendant la réponse, il n’est pas sans intérêt de se rappeler d’une époque où tout était à faire et où commençait à germer l’agitation révolutionnaire :
« Les États-Unis avaient souhaité faire de la Colombie la « vitrine-exposition » de ce que leur aide peut apporter à l’Amérique latine. Toutes les conditions de succès étaient réunies : sol fertile, mines, bons ports… Mais, après trois années d’efforts, et l’apport d’un milliard de dollars, voici ce qui est arrivé. », selon Philip Siekman, rédacteur de l’article intitulé « Menace sur la Colombie », publié dans la revue Le spectacle du monde, en janvier 1966.
Eduardo UGOLINI