Le 15 janvier prochain, le pape François entreprendra son sixième voyage pontifical en Amérique latine. Depuis son élection, François a porté son message de paix et d’espérance au Brésil en juillet 2013, en Équateur, en Bolivie et au Paraguay en juillet 2015, à Cuba en septembre 2015, au Mexique en février 2016 et en Colombie en septembre 2017. Le pape argentin, qui ne s’est pas encore rendu dans son pays d’origine (où certains lui reprochent son rôle pendant la dictature militaire), visitera à cette occasion le Chili et le Pérou jusqu’au 21 janvier.
Photo : Radio Canada
Son programme officiel commencera le 16 janvier à Santiago du Chili, avec la rencontre des autorités, de la société civile et du corps diplomatique au Palais de la Moneda, où il fera son premier discours avant de s’entretenir, vers 9 h, heure locale, avec la présidente Michelle Bachelet. Dans les jours suivants, le Saint-Père se rendra à Temuco, au sud du pays, et Iquique, grand port du nord. Au Pérou, François visitera la capitale Lima, Puerto Maldonado, au sud-est du pays, et Trujillo, au nord-ouest.
Ce qu’il faudrait retenir de cette présence papale, au delà des discours et des messes, des visites aux sanctuaires ainsi que dans une prison de femmes et dans un foyer pour des enfants en difficulté, au delà des circulations en papamobile, des rencontres avec des diplomates, des évêques, des prêtres consacrés et séminaristes et des incontournables déjeuners avec les habitants d’ici et là, c’est le fait que la présence du pape véhicule une forte charge émotive liée à l’agitation sociale et politique avec laquelle des minorités aborigènes expriment leurs inquiétudes. Ainsi, comme dans ses précédents voyages en Amérique latine, les Mapuches de Temuco et les autochtones de l’Amazonie péruvienne seront au cœur du voyage apostolique de François, après avoir donné sa bénédiction aux indiens du Mexique, d’Équateur, de Bolivie, du Paraguay et de Colombie, et demandé « pardon » pour l’exclusion dont ils ont été victimes.
Cette reconnaissance ouverte envers les « erreurs » commises dans le passé (voire des crimes) peut surprendre. Mais si l’on veut comprendre une grande partie de l’Amérique actuelle, afin de construire un avenir plus propre dans le respect d’autrui, il faudrait l’analyser comme le résultat de l’action conjointe de l’épée espagnole et de la Croix latine, aussi brutalement que les conquistadores l’ont fait. Le pouvoir et l’ambition de la première furent complétées par ceux du zèle religieux. Mais, bien que l’acier trempé dans le credo du monde civilisé imposa sa raison, il n’a pas pu éliminer l’essence millénaire, résultant aujourd’hui un syncrétisme bigarré entre deux manières différentes de communiquer avec les dieux. Au fil du temps, les grandes capitales indiennes devinrent progressivement des répliques espagnoles, et les autochtones commencèrent à parler la langue de Don Quichotte mélangée avec des termes nahuatl, mapuches et quechuas, etc.
Cette fusion, pour le moins prodigieuse de cultures antithétiques, a donné lieu à des fêtes baroques où les dieux indigènes portent souvent des noms catholiques, et où s’imbriquent les rites archaïques et les symboles européens. Par exemple au Pérou, berceau de la civilisation Inca, Cuzco porte un témoignage dans ce sens, dans le plus vaste monument de la ville et haut lieu de l’Empire, le Grand Temple du Soleil, appelé Coricancha (l’enceinte d’or). C’est sur les fondations en pierre de ce temple que les Dominicains construisirent leur couvent après la conquête. Dans le grand temple de Coricancha se trouvait, au-dessus de l’autel, une représentation de la vision cosmologique du monde inca. La peinture murale montrait sept petits cercles, chacun avec un point au centre, évoquant sept yeux. Ce sont « les yeux du créateur de toutes choses », qui n’étaient autres que les yeux de Viracocha, dieu suprême des Incas. Cette singulière représentation du monde sacré rappelle le texte de la Bible, où le prophète Zacharie (4, 10) parle des sept yeux du Seigneur qui surveillent tous les peuples de la terre. On peut donc voir là une influence de la pensée judéo-chrétienne.
Au regard de l’histoire, des mythes, des coutumes et des croyances des peuples qui habitaient jadis sur le continent américain, il apparaît que la notion de Territoire se révèle dans l’actualité être un élément important pour l’avenir de leurs descendants. Ainsi les Mapuches luttent pour que le gouvernement chilien reconnaisse leur souveraineté sur un territoire ancestral aujourd’hui géré par des entreprises forestières. Les plus radicalisés affrontent la police, coupent les routes et saccagent camions et engins depuis une vingtaine d’années. Selon Pauline Abramovicht, journaliste de Santiago du Chili, « privés de canaux de communication et critiqués par la majorité des Chiliens, les Mapuches espèrent que la visite du pape va permettre de « mettre en lumière » leur combat, bien que certains, peu enclins à négocier, disent ne pas attendre grand-chose de la visite du Saint Père ». Dans ce sens, un des leaders de la Coordination Arauco Malleco (araucanos : nom générique donné par les Espagnols aux tribus réunissant les Mapuches, les Pehuenches et les Puelches, parmi d’autres), Ramon Llanquileo, a dit : « Ici, les transformations concrètes, nous allons les obtenir nous-mêmes avec nos propres efforts ».
Cette organisation radicale pro-Mapuche fait sans doute écho au mouvements de revendication territorial qui ont eu lieu dans les années 70 et 90 aux États-Unis et au Canada : « Les autochtones n’ont pas à attendre la souveraineté. Ils n’ont qu’à la prendre […] Si les gouvernements résistent, alors les Indiens vont répliquer en organisant des barrages routiers ou des sit-in », avait déclaré en juillet 1996 Olide Mercredi, grand chef de l’Assemblée des Premières Nations du Canada.
Au Pérou, dans une salle de Puerto Maldonado, le pape va se réunir avec environ 3 500 indiens de l’Amazonie, où 350 000 autochtones habitent distribués en une cinquantaine de groupes ethniques. Cette zone est victime d’une intense activité aurifère illégale. « La présence du pape dans la région de Madre de Dios est liée à la pollution et à l’exploitation de nos territoires, outre la manque de sécurité juridique pour les terres des communautés indigènes », s’est ainsi exprimé Julio Cusuriche, président de la Fédération des natifs de la rivière de Madre de Dios. Pour conclure, une information susceptible de fournir matière à méditer : la visite du pape François au Pérou, va coûter au contribuable près de 10 millions d’euros, « une somme correspondant à ce type d’événements » selon le ministre péruvien du Travail, Alfonso Grados, coordinateur général de l’itinéraire papal. Bien sûr, le plus important est de ne pas perdre la foi.
Eduardo UGOLINI