L’ex-président équatorien, Rafael Correa, vient de passer dix jours en Équateur pour affronter sur le terrain son pire ennemi politique, le nouveau président Lenín Moreno. La rupture est à un tel niveau que la réunion annuelle du parti du 3 décembre, a été ignorée par les dirigeants pro-gouvernementaux. Retour sur la guerre politique en Équateur.
Photo : Lenín Moreno et Rafael Correa/Santiago Armas, Presidencia de la República
Rappel de la situation
Lenín Moreno a pris ses fonctions de président le 24 mai 2017, succédant ainsi à Rafael Correa qui a été à la tête du pays pendant 10 ans, et dont il a été le vice-président de 2007 à 2013. Ils sont tous deux membres du parti au pouvoir, Allianza País (AP). Mais le nouveau président a rapidement critiqué et discrédité la gestion de son prédécesseur, en révélant en particulier une dette du pays s’élevant à environ 50 milliards de dollars. Dès lors a débuté une crise politique, qui s’est inscrite aussi dans le contexte des graves accusations de corruption lancées contre le vice-président Jorge Glas, allié de Correa, actuellement en détention préventive pour le dossier des pots-de-vin de la société de construction brésilienne Odebrecht. Son procès a d’ailleurs débuté le 24 novembre à Quito.
On pourrait définir comme « le nerf de la guerre » le projet de consultation populaire annoncé par Lenín Moreno, qui a pour objectif, entre autres, de supprimer le droit à la réélection indéfinie, résultat d’un amendement inconstitutionnel approuvé par la majorité de Correa dans la législature précédente, et qui empêcherait donc le retour de Correa au pouvoir en 2021. Une autre des sept questions de la consultation qui échauffe les esprits des « corréistes » est celle qui propose la suppression définitive du CPCCS, le Conseil de la participation citoyenne et du contrôle social ou cinquième pouvoir, fondé par Correa. D’autres questions concernent les taxes sur la spéculation immobilière, la réduction de la zone d’exploitation pétrolière dans la réserve amazonienne protégée de Yasuní ou la restriction de l’exploitation minière dans les zones protégées, la non-prescription des crimes sexuels contre les mineurs et l’annulation de législations approuvées par l’exécutif précédent, certaines également par plébiscite et qui étaient emblématiques du gouvernement de Rafael Correa, (au total sept questions, dont celle de la perpétuité au pouvoir, seront posées).
Depuis, les relations entre les deux hommes ne sont qu’échanges d’insultes et de critiques via la presse et les réseaux sociaux, et le parti AP est déchiré entre les partisans de Moreno et ceux de Correa ; les « corréistes » accusant le président de gouverner avec le programme de l’opposition. Les dissensions entre les deux groupes ont atteint leur paroxysme lorsque, le 31 octobre, l’aile de l’AP fidèle à Correa a rejeté Moreno comme son chef et a nommé l’ex-ministre des affaires étrangères Ricardo Patiño ; une décision qui n’a pas été reconnue par les tribunaux ou le Conseil National Électoral, mais qui illustre la situation du parti au pouvoir.
Arrivée de Correa à Quito
Mettant sa « menace » à exécution, l’ancien président Rafael Correa a quitté la Belgique où il réside depuis juillet dernier avec sa famille, pour revenir en Équateur et intervenir sur place dans cette bataille politique. Avec la « grandiloquence » qui est la sienne, et quelques jours après avoir exprimé, lors d’une interview de l’AFP, qu’il voulait participer au congrès d’Alianza País (qui devait se tenir se tenir le 3 décembre à Esmeraldas dans le Nord-Ouest) pour tenter d’obtenir l’expulsion du président actuel, il a souligné le « très grand dilemme » de quitter sa famille, mais aussi qu’il se sentirait « comme un traître s’il n’était pas au côté de ses camarades pour mener le combat dans cette importante bataille ». Il a, à de nombreuses reprises, accusé Lenín Moreno d’avoir « trahi le programme gouvernemental d’Alianza País, en gouvernant avec la droite et les banquiers ».
Son arrivée à Quito en avion privé en provenance de Bogotá, dans la nuit du 25 novembre, a attisé les passions. Certains étaient là pour célébrer son retour, d’autres pour le huer. Les affrontements entre les deux partis ont été tels que Correa a dû quitter l’aéroport par une porte dérobée. Il a twitté par la suite : « Je suis arrivé, chère Patrie, fatigué mais heureux ».
Les projets de Correa
Rappelons qu’avec son idéologie bannière de la « révolution citoyenne », l’ancien leader a réalisé la construction d’infrastructures nationales, en ces années de prospérité pétrolière, qui ont permis de donner une place internationale à l’Équateur – notamment par les investissements chinois -, de réduire l’écart social qui sévissait auparavant, et de permettre un meilleur accès à l’éducation et à la santé. Mais, et surtout dans ses dernières années de présidence, un certain nombre de secteurs sociaux, en plus de l’opposition, des hommes d’affaires, des autochtones et des journalistes, ont commencé à exprimer une animosité amère, souvent réduite au silence par l’armure de l’absolutisme politique que la figure charismatique Correa exerçait par les lois et les décrets qui le favorisaient.
Correa devait donc durant son séjour, outre sa participation au congrès d’AP, rencontrer la presse étrangère le 30 novembre, et reprendre contact avec les bases du mouvement en sillonnant le pays. Dans ses meetings, il a constamment fustigé la politique et les décisions de Moreno, qui sont pour lui « une opération minutieuse de destruction de 10 ans de révolution citoyenne ». Il a aussi ardemment pris la défense de Jorge Glas, en proclamant « qu’il y avait un détenu innocent et que l’Équateur avait déjà des prisonniers politiques ». Il n’avait pas l’intention de rencontrer Moreno, sauf si éventuellement l’objectif était de « réactiver l’économie ».
Interrogé sur son intention de se représenter à la présidence de l’Équateur, Correa a affirmé que son intention première était de se retirer de la politique, mais qu’il laissait désormais la porte ouverte à un retour (la prochaine élection présidentielle est prévue en 2021). « Avec tout ce qui s’est passé, je devrai vraisemblablement revenir en 2021 s’ils ne me disqualifient pas », a-t-il déclaré.
Les réponses de Lenín Moreno
La rupture est à un tel niveau que la réunion annuelle du parti du 3 décembre, a été ignorée par les dirigeants pro-gouvernementaux. Selon les partisans de Moreno, la véritable réunion annuelle sera organisée, à une date encore indéterminée, après le référendum populaire avec lequel le président pourrait donc briser toute intention de Correa de revenir au sommet du pouvoir. Le Conseil national électoral (CNE) n’a pas non plus reconnu la validité de cette réunion, tout en confirmant Moreno comme chef du parti.
Avant l’arrivée imminente de Correa au pays, Moreno a convoqué le 23 novembre une réunion du conseil d’administration à Guayaquil, au cours de laquelle il a procédé à une purge des membres déloyaux. Et le 29 novembre il a envoyé un décret exécutif au Conseil national électoral (CNE) dans lequel il demandait à l’agence de convoquer la consultation populaire, en soutenant que l’absence d’avis de la Cour constitutionnelle (CC) sur la légalité de la consultation, était à interpréter comme une autorisation de facto en référence à des précédents similaires. Le CNE a répondu favorablement, et la consultation populaire aura lieu le 4 février 2018, la campagne électorale débutant le 3 janvier. Sur son compte Twitter, le président a salué l’annonce : « aujourd’hui commence la construction de l’avenir que nous rêvons pour nos enfants, nous allons vers un OUI retentissant », a-t-il déclaré.
Le bilan du séjour de Correa en Équateur
Rafael Correa est reparti le 4 décembre pour la Belgique, après 10 jours passés en Équateur. L’ancien président de l’Équateur a perdu de son soutien au sein du mouvement Alianza País (AP). Environ 70 comités de la révolution citoyenne (CRC) ont en effet exprimé leur soutien à la gestion de Lenín Moreno. Le document signé par les comités déclare qu’ils rejettent « tout acte illégal qui a pour but de provoquer des ruptures internes » dans le parti politique officiel. En outre, le texte souligne le soutien « de manière ferme et décisive » à la gestion menée par Lenín Moreno, le reconnaissant comme « vrai président » de l’AP. Bien que les comités disent reconnaître les « réalisations des dix dernières années, dirigées par Rafael Correa », ils ont affirmé leur soutien au référendum appelé « directement et démocratiquement », qui pour l’ancien président est « un coup d’État » de Moreno, et ne reconnaissent pas la légitimité du « leader » d’Alianza País, imposé par les corréistes, Ricardo Patiño.
Rafael Correa a annoncé le 3 décembre qu’il abandonnait l’idée de créer un nouveau parti politique, mais que « le plan B serait d’intégrer un autre mouvement et de le transformer en un parti qui serait dans la mouvance de la révolution citoyenne », en insistant sur le fait qu’il n’entendait pas être candidat aux élections présidentielles de 2021. Le « choc des Titans » semblerait donc pour l’instant favorable au président Lenín Moreno ?
Catherine TRAULLÉ