En 2010, les lecteurs français découvraient avec Dernier train pour Buenos Aires, Hernán Ronsino, un auteur né en 1975 dans la province argentine, à Chivilcoy, et un style refusant tout artifice. Gallimard publie son troisième roman, Lueurs de la pampa, qui offre les mêmes qualités et confirme que Ronsino possède déjà une personnalité qui permet de le reconnaître comme une voix marquante de la littérature argentine actuelle.
Photo : Página 12/Gallimard
Le titre le dit bien : on est et on restera dans un univers de sensations. Le retour de Federico Souza à Chivilcoy, son village natal au cœur de la pampa argentine est pour lui l’occasion, une occasion imposée et inévitable, de redécouvrir les lieux et les gens qu’il a peu à peu délaissés sans le vouloir vraiment, parce que la vie est comme ça. Son âge, entre la jeunesse et l’âge mûr, est peut-être la vraie raison de ce changement dans sa façon de voir le présent et le passé. D’ailleurs dans le décor lui-même se mêlent passé et présent, à l’image de cette vieille ambulance hors service qui se détériore depuis longtemps à l’angle de deux rues et que personne n’a pensé à enlever de là.
Une vache est l’origine, le déclencheur du retour de Federico dans le village ‒ la ville ? personne n’ose trancher ‒, une vache qu’un ami de son père, mentalement instable ou « homme incompris », comme le dira sa nécrologie dans le journal local, lui offre en héritage, bien qu’il n’en soit pas le propriétaire… ou peut-être que si.
D’un souvenir précis à un moment de contemplation, un jeu de lumière sur un mur ou un passant qu’il remarque, Federico vit ces trois jours comme étant un étranger à lui-même, comme le découvreur d’un monde nouveau et déjà intimement connu. Et puis un souvenir qui se précise en crée un autre qu’il se met à absorber, un peu comme des poupées russes immatérielles. Proust n’est pas loin du tout. La Chivilcoy actuelle, avec ses nouvelles boutiques tenues par des Chinois, les ruines d’activités abandonnées, comme la gare de chemin de fer remplacée par la gare routière, cube de béton à la place de ce qui fut lieu de découvertes et d’aventures pour l’enfant, est à présent pour Federico étrangère et familière.
Les souvenirs personnels de Federico s’entrecroisent avec la mémoire de la petite ville, mémoire parfois historique, comme l’épisode de la mort du colonel Borges, l’aïeul de l’écrivain, ou d’autres faits, qui peuvent être dérisoires ou même pitoyables, qui ont marqué et se sont transmis de génération en génération. Ainsi les anciens thèmes traditionnels en Argentine, civilisation et barbarie en tête, prennent vie, se font actuels : on reconstitue dans une salle de classe l’assassinat d’un jeune poète, en 1910, et tout à coup plane l’ombre de Sarmiento, homme politique et homme de lettres du XIXème siècle.
Par petites touches, si notre attention ne faiblit pas, on pourra reconstituer assez précisément la vie de Federico Souza (réaction bien française, très cartésienne). Est-ce bien nécessaire ? Est-ce souhaitable ? Non, évidemment. Cette chronologie réaliste n’est que la trame de fond, et le charme du roman c’est justement cette mer mouvante d’impressions qui sont présentes, disparaissent doucement ou brusquement pour réapparaître deux jours ‒ ou 200 pages ‒ plus tard : les « nuances du souvenir », dit Hernán Ronsino. La subtilité du style s’ajoute encore à ce roman, très beau, très prenant.
Christian ROINAT
Lueurs de la pampa, de Hernán Ronsino, traduit de l’espagnol (Argentine) par Gersende Camenen, éd. Gallimard, 324 p., 22,50 €. Hernán Ronsino en espagnol : La descomposición / Glaxo / Lumbre, ed. Etrena cadencia, Buenos Aires. Hernán Ronsino en français : Dernier train pour Buenos Aires, Liana Levi.