Accusé de la disparition d’Hernán Abriata en octobre 1976 durant la dictature argentine (1976-1983), Mario Sandoval était requis par la justice argentine depuis 2012 pour « crimes contre l’humanité et tortures ayant entrainé la mort ». Après plusieurs années de va-et-vient dans les cours françaises, la cour d’appel de Versailles vient d’autoriser son extradition afin qu’il soit jugé en Argentine.
Photo : DiarioChaco.com
Mario Sandoval est accusé par la justice argentine d’avoir, en tant qu’agent de la coordination fédérale de la police, fait partie des escadrons de la mort basés dans la tristement célèbre ESMA, l’École de mécanique de la Marine de guerre. Selon les organisations de défense des droits humains argentines, plus de 5 000 personnes auraient disparu après leur arrestation dans ce lieu, la plupart probablement jetés à la mer par les avions de la Force aérienne.
Naturalisé Français
La justice argentine veut juger Mario Sandoval pour la disparition de 600 personnes. Mais l’ancien policier s’étant réfugié en France en 1985 et ayant reçu la nationalité française en 1997, la procédure semblait bloquée. En effet, la France n’extrade pas ses citoyens. L’avocate du gouvernement argentin, Me Sophie Thonon-Wesfreid, et les avocats des victimes ayant fait remarquer que la loi autorisait l’extradition de personnes ayant commis un crime dans leur pays d’origine avant leur naturalisation, ce qui est le cas ici, le 28 mai 2014, la cour d’appel de Paris autorisait l’extradition mais pour une seule victime : Hernán Abriata. Étudiant en architecture et membre des Jeunesses péronistes opposées à la dictature, Hernán Abriata (25 ans) avait été arrêté le 30 octobre 1976 par un escadron de la mort dont le responsable s’était présenté comme Mario Sandoval devant plusieurs témoins, ce qui a motivé la décision de la cour française : les preuves semblaient cohérentes et bien établies.
Coup de théâtre
Mais le 18 février 2015, la Cour de cassation annule l’autorisation d’extradition ! Selon l’avocat général, « on ne peut pas admettre que la disparition d’Hernán Abriata se soit prolongée après 1983, quand l’Argentine est retournée à la démocratie avec l’élection du Président Raúl Alfonsín ». Comme le souligne le site Mediapart [1], « c’est comme si le retour à la démocratie faisait réapparaître les morts par disparition forcée des dictatures et annulait le crime commis par le régime précédent. De la magie et de la sublimation de la démocratie ! ».
Le crime de disparition forcée n’existe pas dans le droit français !
Un autre point de friction entre les avocats concerne le fait que le Code pénal français ne contient pas de clause de « disparition forcée ». Cette notion existe bel et bien dans le droit argentin et, considérée comme crime contre l’humanité, est imprescriptible. C’est aussi le cas de la Convention internationale contre la disparition forcée adoptée par l’ONU en 2006 et dont la France est signataire. Or, en droit international, « une disparition ne prend fin que lorsque la personne réapparait ou lorsque son corps est retrouvé ». Le corps d’Hernán Abriata n’a jamais été retrouvé. La Cour de cassation renvoie le dossier à la cour d’appel de Versailles pour reconsidération.
C’est finalement oui à l’extradition !
Deux ans plus tard, fin octobre dernier, la Chambre d’instruction de la cour d’appel de Versailles a rendu un avis favorable à l’extradition. Le dossier est maintenant dans les mains du gouvernement français qui peut accepter l’extradition ou la rejeter, soulevant une certaine inquiétude. Le politique a toujours priorité sur le judiciaire. En mars 2000, alors que par deux fois, la Cour des Lords britannique (l’équivalent d’une Cour suprême) avait autorisé l’extradition du général Augusto Pinochet vers l’Espagne pour y être jugé pour les crimes commis pendant sa dictature, le ministre de l’Intérieur Jack Straw, l’avait autorisé à rentrer au Chili…
Le ministre de la Justice français doit maintenant soumettre un décret d’extradition au Premier ministre qui le signera ou non. Si oui, les avocats de Mario Sandoval ont déjà fait savoir qu’ils feront appel devant le Conseil d’État. Citée par Le Figaro le 19 octobre dernier, Karine Bonneau, responsable de la justice internationale à la FIDH (Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme), « exhorte le Premier ministre, M. Édouard Philippe, à signer le décret d’extradition ». Le soussigné est pleinement d’accord avec elle…
Jac FORTON
[1] Lire l’article sur le site de Mediapart.