« J’attends que les choses changent depuis cinquante ans », m’a répondu mon oncle avec un geste d’amertume quand je lui ai dit que, après deux ans au pouvoir et son triomphe lors des législatives d’octobre dernier, le président Mauricio Macri et son parti Cambiemos (Changeons) pourraient enfin incarner un vrai changement. Le photographe et écrivain Eduardo Ugolini est actuellement en Argentine et nous offre ici un premier reportage sur l’actualité politique de son pays.
Photo : Sincortapisa.com
Pour la première fois dans l’histoire de ce pays, qui fut l’un des plus riches du monde dans la première moitié du XXe siècle, le véritable changement, la grande mission de Cambiemos, semble être celle de tourner la page des populismes de droite et de gauche en élaborant des stratégies sur le long terme. Dans ce sens, María Eugenia Vidal, gouverneur de la province de Buenos Aires, avait déclaré en décembre dernier qu’ « il faudrait huit années pour réaliser les profonds changements dont l’Argentine a besoin ».
Cohérent avec ce message, au début de l’actuel mois de novembre, le gouvernement a proposé au Parlement un projet de réforme tributaire, complexe et controversé, qui prévoit une baisse graduelle de certains impôts et l’augmentation de certains autres pour une période de cinq ans. Le ministre des Finances, Nicolás Dujovne, a dit que, si cette loi est approuvée, le pays sera plus compétitif, en encourageant les investissements et la création d’emplois. Or, la devise du projet de réforme tributaire résonne dans la mémoire comme un slogan qui se répète a travers les décennies : « Investissements et génération d’emploi ¬ Efficacité et équité ¬ Développement économique. »
Toutefois, il faut reconnaitre que les chiffres officiels permettent de croire en une réactivation de l’économie : l’activité industrielle a augmentée de 2,3 % en septembre par rapport au même mois de 2016, tandis que l’industrie du bâtiment a atteint 13,4 % d’expansion dans la même période selon l’Institut National des Statistiques et des Recensements (INDEC). Pour l’Estimateur Mensuel Industriel (EMI), l’activité industrielle enregistre un développement de 1,5 % dans les neufs premiers mois de l’année 2017. Toujours d’après les informations émises par l’EMI, on peut constater une réactivation des industries métallurgiques de base (23,3 %), de l’édition (16,2 %), de l’industrie automobile (10,1 %) et des produits miniers non métalliques (7,5 %). Par ailleurs, l’INDEC a signalé également un incrément de 20,2 % accumulé dans le salaire moyen pour les huit premiers mois de l’année, équivalent au pourcentage d’inflation annuelle. L’erreur serait de croire que ces statistiques se reflètent dans la réalité quotidienne des Argentins les plus défavorisés. La diversification de mesures s’écrit sous le double signe de l’encouragement et de la méfiance, et laisse entière les interrogations sur l’évolution de l’emploi. Sur ce point, une image en dit plus que mille mots :
Cette photographie a été prise récemment à Buenos Aires, dans le quartier de Retiro. On voit le frappant contraste entre un pays qui regarde vers l’avenir (les immeubles ultramodernes de verre et acier), et le facteur humain issu des provinces de l’intérieur et des pays limitrophes (Paraguay, Bolivie, Pérou) : métisses et descendants des populations autochtones qui ont migré vers la province de Buenos Aires à la suite du déclin économique que connaît l’Argentine depuis les turbulentes années 60. Sans aucune formation, ces gens, dont une grande partie sait à peine lire et écrire, survivent de petits boulots, à l’image de cette femme chargée de l’entretien d’un immense trottoir de 20 mètres de long pour 10 de large avec un balai de 30 cm. Au lieu de terminer sa tâche en quelques minutes avec un outil approprié, voire une balayeuse de voirie comme dans les pays développés, la pauvre femme réalise son travail en dix fois plus de temps, aller et retour, en enlevant la poussière et le sable que le vent charrie du terrain vide d’à côté. Ce sont ces types d’emplois, conçus pour des gens en situation de précarité, qui empêchent l’effondrement de la société argentine d’aujourd’hui.
Eduardo UGOLINI
À suivre : Une révolution dans le domaine de la justice argentine. Le cercle autour de l’ex présidente Cristina Kirchner se resserre : corruption, arrêts et incarcérations des fonctionnaires de l’ère kirchneriste José López (Secrétaire d’Œuvres Publiques), Ricardo Jaime (Secrétaire de Transport de la Nation), Julio De Vido (Député, Ministre de la Planification Fédérale, de l’Investissement Public et des Services de la République Argentine), Roberto Baratta (bras droit de De Vido et sous-secrétaire de la Coordination et du Contrôle de Gestion du Ministère de la Planification), Amado Boudou (Vice-président de Cristina Kirchner), Lázaro Báez (prête-nom de l’ex-président Nestor Kirchner), le “cheval” Suarez (syndicaliste “favori” de Cristina Kirchner), Luis D´Elia (dirigeant de la Centrale des Travailleurs Argentins), et la réouverture de l’investigation du très controversé cas Nisman (le procureur retrouvé mort à son domicile le 18 janvier 2015).