Représentante de la chanson « ranchera« , en général plutôt réservée aux hommes, Chavela Vargas, née Isabel Vargas Lizano en 1919 et décédée en 2012, était arrivée au Mexique depuis son Costa Rica natal dans les années 1930 et avait acquis par la suite la nationalité mexicaine. Comme Édith Piaf, à laquelle l’a comparée le metteur en scène espagnol Pedro Almodóvar, elle avait commencé sa carrière en chantant dans les rues. Daresha Kyi et Catherine Gund lui ont consacré un documentaire.
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Chavela Vargas s’est construit une vie de légende en raison de sa relation avec l’alcool, de son homosexualité et de son amitié avec quelques unes des grandes figures de la culture mexicaine du XXe siècle comme les peintres Frida Kahlo (1907-1954) et Diego Rivera (1886-1957). Dans les années 90, après plusieurs années au cours desquelles elle avait sombré dans l’alcoolisme, Chavela Vargas avait effectué une tournée mondiale, en remplissant notamment l’Olympia de Paris et le Carnegie Hall de New York avec ses anciens succès comme La Llorona, Piensa en mi ou El Último trago.
Le documentaire Chavela Vargas est constitué de trois types de séquences : les interviews de 1991 menées par Catherine Gund alors qu’elle se trouvait à Mexico, les interviews récentes réalisées avec Daresha Kyi et les images d’archives accompagnées de photos. « À 71 ans, en 1991 raconte Catherine Gund, elle était assez méconnue, également queer, oubliée et dénigrée. Mes amis savaient qu’elle avait des problèmes d’alcoolisme, qu’elle avait récemment rompu avec quelqu’un, et qu’elle vivait des moments difficiles. La communauté lesbienne de Mexico à cette époque était assez petite et trouvait que Chavela n’était pas reconnue à sa juste valeur. Il y avait là cette immense icône qui semblait être relayée au second plan et sombrait dans l’oubli. Mais néanmoins, tous savaient qu’elle n’avait pas peur et ils l’admiraient pour cela. Elle était fidèle à elle-même et croyait en son pouvoir. C’était un miracle d’avoir eu cette interview. Elle nous a invitées dans sa maison d’Ahuatepec. Elle n’avait jamais autant parlé avec des inconnus comme elle l’a fait pendant des heures avec nous. Elle a évoqué des choses personnelles, comme le fait de trouver l’amour et le perdre, de se battre pour être reconnue pour son talent, elle s’est livrée avec beaucoup d’émotion. Elle a parlé de la joie et de la souffrance d’être confrontée à des gens qui la reconnaissaient, et qui l’appelait soit ‘diva’ soit ‘gouine’. Nous savions que c’était une opportunité de faire partager son histoire à une large audience ».
Daresha Kyi, qui réalise le documentaire en compagnie de Catherine Gund, a toujours été attirée par des personnalités comme celle de Chavela Vargas. « Une latino qui porte des pantalons, qui fume des cigares, qui descend des verres de tequila et qui porte un pistolet tout en chantant des histoires d’amour à des femmes, tout cela dans un pays catholique des années 40… difficile d’être plus marginale (ou plus rebelle) que ça ! Avoir l’opportunité de raconter l’histoire de quelqu’un qui a vécu et dormi dans la rue, s’est perdue dans l’alcool puis a chanté à guichet fermé au Carnegie Hall et est apparue dans un film avec Salma Hayek, a été la muse de Pedro Almodóvar et reçu la décoration la plus prestigieuse d’Espagne – Comment aurais-je pu résister ? ». « Les interviews tournées récemment, ajoute-Catherine Gund, auraient pu être très traditionnelles, mais elles ont été nourries de la chaleur de ces gens, nous accueillant dans le confort de leur maison, entourés de leurs livres, de leurs photos, de leurs plantes. C’est cela aussi qui fait écho à la mémoire de Chavela : l’authenticité. Quand je regarde la séquence tournée il y a 25 ans où j’avais 25 ans, j’aurais aimé savoir tout ce que je sais maintenant… ? Il n’existe pas d’autres interviews comme celle-ci, et nous n’allions pas gâcher cette chance. Nous étions jeunes, honnêtes et admiratifs. Et d’une certaine façon elle nous le renvoyait ». Le documentaire remporta le Prix spécial et le Prix du public au dernier festival de Biarritz. Il sortira en salle ce mercredi 15 novembre.
Alain LIATARD