Tournant brutal entre deux hommes issus du même mouvement politique. Lenín Moreno qu’il avait « hérité » d’un endettement majeur, et annoncé des mesures d’austérité. D’autre part, le 3 août 2017, le président Moreno a démis de ses fonctions son vice-président, Jorge Glas, marquant ainsi une rupture définitive avec son prédécesseur, Rafael Correa.
Photo : FT.COM
Lenín Moreno, a en effet exprimé ce 29 juillet, au cours d’une allocution télévisée qui a duré neuf minutes et qui a été retransmise par toutes les chaînes, que la situation économique du pays était « critique », et qu’il faudrait 8 milliards de dollars annuels pour amortir la dette dont il avait « hérité » à sa prise de pouvoir en mai dernier. Raison pour laquelle il prendrait des mesures pour réduire les dépenses et stimuler l’investissement. « En mai de cette année, la dette publique du pays a atteint un montant total historique de 41,893 milliards de dollars », a-t-il déclaré, auxquels il faut ajouter « d’autres engagements de l’État, comme des opérations à court terme, du passif des sociétés pétrolières, des ventes prévues d’hydrocarbures, ce qui fait rajouter environ huit milliards de dollars, sans oublier les 2,528 milliards dus à la Sécurité sociale ».
Même s’il a rappelé que « depuis deux ans le pays a dû faire face à la baisse du prix du pétrole et des matières premières, au cours du dollar, et au tremblement de terre dévastateur de 2016 qui a fait des centaines de victimes, et des dégâts matériels estimés à 3, 500 milliards de dollars », il n’a pas manqué de préciser que cet endettement était l’héritage de son prédécesseur et « qu’il contrastait avec les affirmations de Correa selon lesquelles le pays restait dans les limites d’endettement toléré par la loi (40 % du PIB) ». Selon lui, « face à la situation économique complexe, les décisions prises n’ont pas été très adaptées et ont mis notre économie en péril ». Ce qui est une critique ouverte du gouvernement précédent. Par ailleurs, suite aux accusations portées contre lui sur l’affaire de corruption Odebrecht, « le président Lenín Moreno démet de ses fonctions Jorge Glas », titre le 3 août le quotidien équatorien El Universo.
À ce poste depuis 2013, Jorge Glas est accusé d’avoir touché 14,1 millions de dollars (près de 12 millions d’euros) de l’entreprise brésilienne Odebrecht en échange de contrats de chantiers publics. Un coup dur pour ce haut responsable mais aussi pour tout le parti au pouvoir, Alianza País, auquel il appartient, au même titre que l’ancien président et que l’actuel chef de l’État. Après ces révélations, que l’intéressé réfute, le président récemment élu (en mai dernier) Lenín Moreno a remercié son vice-président de toutes ses fonctions, lui laissant seulement son rôle constitutionnel, qui est de remplacer le président en cas d’absence temporelle ou définitive, précise le quotidien colombien El Tiempo. Cette décision, en accord avec la volonté affichée du président de lutter contre la corruption, met fin à la vie politique de Glas et ouvre un processus de dénonciation de la corruption autour du scandale continental Odebrecht, estime le journal. Alors que Lenín Moreno a été porté par son prédécesseur, Rafael Correa, il tente désormais de se différencier de son mentor. Pour l’analyste Franklin Ramírez, de l’université latino-américaine de sciences sociales (Flacso), « le thème de la corruption reste un objectif de premier ordre, et le président Moreno s’est toujours engagé à un « grand nettoyage »», écrit El Tiempo.
Dans un éditorial, El Tiempo estime que Rafael Correa, grande figure équatorienne de ce début du XXIe siècle, a bénéficié tout au long de ses trois mandats (2007-2017) de cours du pétrole avantageux pour investir dans d’importants chantiers publics. « La fin de cette période d’abondance a été déterminante dans la décision de Correa de ne pas se représenter en 2017 et a nécessité de choisir un successeur contrôlable », écrit-il, avec le but de faire perdurer son projet politique, la « révolution citoyenne » (un projet socialiste dans la lignée de celui du Vénézuélien Hugo Chávez). Le choix s’est alors tourné vers Lenín Moreno, l’homme le plus populaire du gouvernement, mais qui inspire peu confiance à Rafael Correa. Ce dernier placera donc Jorge Glas, son homme de confiance pour assurer sa domination politique, au poste de vice-président. Pourtant, pour El Tiempo, les différences entre Moreno et Correa s’affirment dès la passation de pouvoir, lors du premier discours du nouveau président. De fait, après soixante-quinze jours au pouvoir, Lenín Moreno a multiplié les déclarations à l’encontre de son prédécesseur, présentant donc un bilan critique de la gestion économique du gouvernement précédent.
En retour, le père de la révolution citoyenne dénonce la « trahison » du nouveau président. Depuis la Belgique, où il vit avec sa femme, il s’exprime sur Twitter et dénonce les positions et les décisions de Lenín Moreno concernant le dialogue avec l’opposition, les populations autochtones et les entreprises, et son rapprochement avec la presse. « Correa va même jusqu’à encourager les militants d’Alianza País à créer un nouveau mouvement », précise El Tiempo. Le bras de fer entre le camp de Rafael Correa allié à Jorge Glas et Lenín Moreno a provoqué « un conflit qui s’est étendu au mouvement Alianza País (le parti au pouvoir), entre les adeptes de la ligne dure [socialiste] de Rafael Correa et ceux qui se sont alignés sur le style de Lenín Moreno », explique El Tiempo. C’est ainsi que Paola Pabón et les conseillers présidentiels Ricardo Patiño et Virgilio Hernández ont annoncé le 26 août leur démission de leurs fonctions au gouvernement équatorien.
Patino, ancien ministre de la Défense et l’une des pièces clés dans les 10 ans de gouvernement de Correa (2007-2017), a déclaré que cette décision répondait au fait que le gouvernement nouvellement installé de Moreno n’avait pas suffisamment reconnu les réalisations de la «Révolution citoyenne» et qu’il ait répandu l’idée qu’il y avait dans le gouvernement précédent une «généralisation de la corruption». Les trois ont nié qu’avec cette décision ils retiraient leur soutien à Moreno, et qu’ils étaient du côté de Correa dans la lutte ouverte entre les deux hommes mais ont affirmé qu’ils « allaient travailler pour l’unité du mouvement ». La confrontation entre Moreno et Correa vient des accusations sérieuses de corruption qui pèsent sur le vice-président Jorge Glas, le grand allié de Correa, et que Moreno a démis de ses fonctions en représailles de ses critiques sévères contre le président. Face à cette crise politique, les députés du mouvement Alianza País ont demandé au président de trouver une solution immédiate à cette crise politique interne.
En attendant, Lenín Moreno défend ses choix et soutient que « maintenant le pays respire la liberté », comme le cite El Tiempo. Et, avec l’optimisme qui le caractérise, il a exhorté « à croire en l’avenir » pour « surmonter la crise économique, en assumant nos responsabilités.Tous ensemble, citoyens, chefs d’entreprise et membres du gouvernement, nous appuierons la dollarisation, nous allons générer des emplois décents, éradiquer l’extrême pauvreté, réduire les inégalités, générer l’équité et la justice sociale, et stimuler le développement économique et social. Nous devons tous y mettre du nôtre! » a-t-il dit, avant de présenter son budget de combat pour 2017.
Une stratégie qui vise donc à encourager les investissements et la rentrée de devises, et qui inclut des mesures d’austérité pour réduire les dépenses publiques, en utilisant les ressources de l’État et l’investissement public uniquement pour ce qui est strictement nécessaire. «Au mois de septembre, nous annoncerons au pays le programme économique complet que nous mènerons dans les prochaines années, conformément aux délais prévus par la loi », a-t-il déclaré. Enfin, pour compléter le budget de l’année, il demandera à l’Assemblée nationale (le parlement) 36,818 millions de dollars, soit 2 % de plus que le budget prévu l’année précédente, « ce qui correspond à ce qui est indispensable pour le fonctionnement des services publics ». Le gouvernement projette une croissance du produit intérieur brut (PIB) de 0,7 %, et une rentrée fiscale de 34 602 milliards de dollars américains. L’objectif est qu’en 2021, le déficit passe de 7,6 % du PIB en 2016 à moins de 2 %, tout en respectant les dispositions constitutionnelles relatives aux allocations à la santé, à l’éducation, et aux régions, en s’assurant que « les dépenses permanentes ne soient couvertes que par un revenu permanent ».
Catherine TRAULLÉ
D’après Noticias Sin, Courrier international et Pagina Siete