Maud Rea, étudiante en sciences politique, a voyagé en juillet dernier au Brésil. Paysages paradisiaques, entre des villes stupéfiantes et une nature extraordinaire, son voyage au Brésil fut teinté par la découverte des merveilles, au rythme de la danse et de la musique. Elle apprenais un peu plus chaque jour sur les douceurs exaltantes du pays, rêves ternis par la réalité : la situation politique branlante. Voici son récit.
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Un ex-président condamné : Luiz Inacio Lula da Silva
12 juillet à Rio de Janeiro et première secousse politique, l’ancien président Lula da Silva est condamné à neuf ans et demi de prison pour corruption et blanchiment d’argent. Le juge Sergio Moro, en charge de l’enquête « Lava Jato » qui a mis au jour un gigantesque scandale de corruption a déclaré l’ancien président coupable. Celui-ci est accusé d’avoir reçu de la part du constructeur OAS un appartement de luxe et ce en échange de faveurs. OAS est une des entreprises condamnées dans la Lava Jato. Lula a fait appel de ce jugement qui est maintenant entre les mains du Tribunal régional fédéral de Porto Alegre (TRF 4). Celui-ci a tout de même validé dans leur majorité les décisions du juge Moro. Les avocats de Lula dénoncent un « jugement politiquement tendancieux. Aucune preuve crédible n’a été produite alors que des preuves écrasantes de son innocence ont été ignorées de façon éhontée ».
Une reconquête pour Lula Da Silva
L’ancien président, bien que condamné, reste en tête des sondages pour le premier tour de la présidentielle 2018. Le magistrat en charge de l’affaire, par prudence, n’a pas décrété immédiat l’emprisonnement de Lula. Celui reste donc pour le moment libre et éligible. Et sa reconquête a débuté le jeudi 17 août à Salvador de Bahia. La tournée politique du candidat se fera dans sa région natale, le Nordeste, jusqu’au début du mois de septembre. Sillonnant la région qui constitue son véritable bastion politique, Lula a déclaré : « Je vais parcourir le pays pour découvrir aux côtés du peuple ce qui se passe dans le pays, un pays qui est soumis à un groupe de personnes qui n’ont jamais été capables de gouverner ». Cependant même si Lula reste le favori de ces élections, les grandes manifestations du 20 juillet annoncées par les partis et les mouvements de gauche n’ont pas mobilisé autant qu’ils le souhaitaient. Je me trouvais ce jour-là à São Paulo où plusieurs milliers de personnes étaient venus soutenir l’ancien président. Celui-ci, se tenant devant la foule, répétait que la justice ne disposait d’aucune preuve pour le condamner.
Un président non élu au bord du gouffre : Michel Temer
Accusé depuis le mois de juin par le procureur général Rodrigo Janot de s’être « prévalu de sa condition de chef d’État » afin de recevoir des pots-de-vin d’une valeur de 500 000 réais (environ 140 000 euros) venant du géant de la viande JBS, Temer a réussi à sauver son mandat le mercredi 2 août en empêchant un procès pour corruption passive. A la tête du pays depuis un an, il y restera certainement jusqu’aux élections de 2018 puisque l’opposition n’a pas réussi à rassembler les deux tiers des votes, soit 342 sur 513, nécessaires pour le pousser vers la sortie lors du vote à la Chambre des députés concernant l’ouverture de son procès. En effet, sur les députés présents 263 se sont prononcés contre l’ouverture du procès, face à seulement 227 pour et 2 abstentions. La plupart des députés ayant voté contre ont expliqué qu’il était nécessaire de continuer à mettre en place les promesses faites par le président actuel. Déjà en juin dernier, Temer avait échappé à la justice électorale, in extremis. Celle-ci n’avait pas invalidé son mandat, et ce malgré les accusations d’irrégularités financières dans la campagne menée en 2014 aux côtés de Dilma Rousseff, dont Temer était vice-président. Celui-ci s’est réjoui de cette seconde victoire : « la chambre des députés, qui représente le peuple brésilien, s’est prononcée de façon claire et incontestable. Ce n’est en aucun cas une victoire personnelle, c’est une victoire de l’État de droit démocratique ».
Une nouvelle vague de privatisation pour combler le déficit budgétaire
L’éternel pays d’avenir, comme aimait à l’appeler Georges Clémenceau, va mal. Et pour tenter de le remettre sur pied le gouvernement brésilien a annoncé cette semaine une nouvelle vague de privatisations. La liste de 58 actifs à privatiser au Brésil comprend des ports, des autoroutes et la concession d’aéroports, y compris le très lucratif terminal de Congonhas, à São Paulo ainsi que la Maison de la Monnaie, qui fabrique les billets de banque et les passeports. Sans compter la plus grande compagnie d’énergie d’Amérique latine, Eletrobras, dont les actions ordinaires ont fait un bond de près de 50 % au lendemain de l’annonce du plan de privatisation. Le but de ces privatisations étant de combler le déficit budgétaire du pays. Les analystes estiment que l’État pourrait gagner environ 40 milliards de réais (10,75 milliards d’euros) avant la fin 2018 grâce à ces privatisations. Ce montant est non négligeable puisqu’il marquerait une victoire pour la fin du mandat de Temer. Si ces plans deviennent réalité, il s’agira là de la plus importante vague de privatisations depuis la présidence de Fernando Henrique Cardoso (1995-2002).
Lula, une nouvelle « crise institutionnelle » contre Temer et une crise populaire
Otavio Amorim Neto, politologue de la Fondation Getulio Vargas, explique que si la décision du TRF 4 était rendue tardivement, l’interrogation autour de la condamnation de l’ancien président serait susceptible de créer une nouvelle « crise institutionnelle ». En effet, si le tribunal de Porto Alegre confirmait la condamnation de Lula, celui-ci ne pourrait plus occuper une charge publique, et ce pendant 19 ans. Cette sentence, rendue par le juge Sergio Moro, serait alors problématique si Lula se présentait comme candidat, encore plus s’il remportait les élections présidentielles de 2018.
Temer quant à lui, fait face à une forte impopularité auprès des Brésiliens. Je n’ai pu m’empêcher de remarquer lors de mon séjour les innombrables “Fora Temer” inscrits sur les murs des bâtiments. Ainsi alors que le vote des parlementaires le sauve d’un procès, il est en décalage total avec l’opinion brésilienne. Nombre d’opposants ont manifesté devant le parlement, à Brasilia, durant la séance du vote. Un récent sondage montre que 81 % des Brésiliens auraient voulu que les députés se prononcent en faveur d’un procès pour le premier président de la République à être poursuivi pour un crime de droit commun. Aujourd’hui à un niveau abyssal équivoque, la cote de popularité de Temer, qui ne dépasse pas les 5 %, est l’illustration même de ce ras-le-bol.
Un capharnaüm politique qui profite aux candidats plus à droite
Le maire de São Paulo, Joao Doria, n’exclut pas une possible candidature. Lorsqu’on lui demande de s’exprimer sur ses aspirations présidentielles, il admet que « dans la vie, rien ne peut être écarté ». Membre du PSDB (centre droit), l’homme politique aux tendances conservatrices a déjà lors des élections municipales d’octobre 2016 repris la capitale économique du Brésil alors aux mains du PT (gauche). Même s’il salue la nouvelle vague de privatisations annoncée par le gouvernement, il pense qu’une gestion privée aurait empêché, par exemple, l’entreprise Petrobras d’être emportée dans la machine du Lava Jato. Un sondage publié en juin par l’Institut Datafolha lui crédite déjà 10 % des votes alors qu’il n’est pas encore déclaré officiellement candidat à l’élection présidentielle.
Jair Bolsonaro, candidat catholique et patriote, ancré à l’extrême droite, surfe lui aussi sur cette vague. Député et aujourd’hui candidat à l’élection présidentielle, Bolsonaro est donné en deuxième position des intentions de vote. Son ascension dans les sondages est donc fulgurante puisqu’il se place directement derrière Lula. Mater la corruption, lutter contre l’insécurité… c’est derrière ces promesses que le député forme sa campagne. Le parti Patriotas devrait l’investir en juillet 2018 comme son candidat officiel. « Le Brésil a besoin d’un président honnête, un patriote, au sang jaune et vert et avec Jésus dans le cœur » a-t-il scandé lors d’un discours le 17 août dernier. Discours qui va de pair avec son slogan de campagne : « Le Brésil au-dessus de tout, Dieu au-dessus de tout ». Les différentes crises que connaît le pays, économique, sociale et politique, expliquent cette popularité grandissante. Face au ras-le-bol de la corruption, Bolsonaro est un des rares hommes politiques brésiliens de premier plan dont le nom n’a jamais été cité dans un scandale de corruption.
Maud REA