Douceur et amertume cohabitent dans le recueil « Les Disparus », du poète franco-chilien Patricio Sánchez Rojas, livre qui touche la question des disparus, personnes enlevés et tuées secrètement sous le régime dictatorial de Augusto Pinochet au Chili. Une œuvre sensible d’hommage et de dénonciation.
L’année de 1973 marque un profond changement au Chili. Le 11 septembre, un coup d’état militaire renverse le gouvernement socialiste de Salvador Allende pour instaurer une dictature. Il s’ensuit une vague de violences dans le pays de la part du régime Pinochet dès le premier jour. Débutent alors 17 années de répression où les opposants au régime sont arrêtés, exilés, torturés ou exécutés.
Ceci est le contexte de l’adolescence de Patricio Sánchez Rojas, poète, traducteur, animateur d’ateliers d’écriture et enseignant d’espagnol à l’Université de Nîmes. Né au Chili, en 1959, il passe son enfance à Talca et à Valdivia. En 1977, sa famille est forcée à quitter le pays et s’exile à Paris. 40 ans plus tard, l’écrivain revisite le passé de son pays natal à travers la poésie. Son touchant recueil “Les disparus” (Ed. La rumeur libre) retrace cette triste partie de l’histoire chilienne. À travers la force de la poésie et des symboles, Rojas aborde le sujet par différentes thématiques mêlant intimité, souvenirs – heureux et tristes interposés – et histoire. Une œuvre sensible d’hommage et de dénonciation.
“Beaucoup de personnes/anonymes/recherchaient leurs/tombes/dans les champs/abandonnés,/Dans le désert/d’Atacama,/dans les montagnes,/Au fin fond des/océans./Il y avait tout un territoire/rempli de cadavres,/de disparus,/de pleurs,/de larmes,/de cendres./Il y avait un grand/cimetière/caché/en-dessous de/nos pieds”
Les disparus sont les milliers d’opposants chiliens enlevés sans arrestations officielles, secrètement détenus, souvent torturés, tués et enterrés clandestinement, le crime ultime de la répression dictatoriale. “Les disparus” nous permet de remémorer la marque laissée au Chili par ces actes et nous amène à réfléchir sur le sentiment des proches des victimes ; l’angoisse de ne pas pouvoir, au moins, avoir la certitude du destin de nos êtres aimés; l’absence d’une tombe précise où se laisser emporter par le deuil. L’absence de connaissance exacte de ce qui s’est passé et le manque de justice.
“Les tortionnaires de ton pays/natal font/définitivement partie/du paysage,/Parfois ils rentrent/dans les boulangeries,/le matin,/Ils saluent/d’une façon très/respectueuse/les employés et les vieillards”
Rojas dénonce le destin très différent des tortionnaires du régime, qui, au contraire de leurs victimes, ont pu continuer leurs vies dans le pays qu’ils ont blessé, souvent sans conséquences graves des crimes commis, tandis que les familles des victimes cherchent encore des réponses et des réparations.
“Donc, ton exil/serait/la blessure/Que tu portes/encore/dans ta gorge”
C’est aussi une œuvre sur l’exil, la violence du déracinement forcé et de la perte de la terre natale. Ayant dû quitter le Chili à l’âge de 17 ans et étant naturalisé français en 1993, le livre est un moyen pour Rojas de se reconnecter à ses racines. Le sentiment de l’exil est éparpillé dans son recueil, dans un mélange de souvenirs incertains et de nostalgie. Le livre semble être également une tentative pour mettre en lien les deux parties de sa vie – au Chili et en France. Comme s’il y créait sa propre patrie à travers ses poèmes : mi-France, mi-Chili entremêlés à son imaginaire et à ses lectures (“les mots qui t’habitent sont ta patrie”). Douceur et amertume, espoir et désolation cohabitent dans cette œuvre franco-chilienne touchante et originale.
Barbara D’OSUALDO