Depuis maintenant un moins le Venezuela est ébranlé par de nombreuses manifestations. Nicolas Maduro, actuel président, a décidé lundi 1er mai de se lancer dans un processus d’écriture d’une nouvelle constitution. Projet rejeté fermement par l’opposition. L’incapacité de trouver un terrain d’entente a de nouveau donné lieu à des confrontations. Alors que le dialogue apparaît comme de plus en plus impossible entre les deux camps, les manifestations ont déjà fait 32 morts, selon l’Agence France-Presse (AFP) et le parquet vénézuélien. Les heurts et les pillages autour des manifestations ont aussi fait plusieurs centaines blessées, des violences dont s’accusent mutuellement l’opposition et le gouvernement.
Amnesty Internationale : « au Venezuela, la dissidence est interdite »
Dans rapport sur les détentions politiques arbitraires diffusées mercredi 26 avril dernier, l’organisation non gouvernementale de défense des droits de l’homme dénonce des arrestations et des jugements qu’elle estime illégaux au Venezuela. Amnesty Internationale s’indigne contre les arrestations sans mandat effectuées par le service bolivarien de renseignement (Sebin), la police politique ainsi que les jugements par un tribunal militaire, dépeint comme ni indépendant ni impartial, de détenus civils. La procureure générale de la République, Luisa Ortega, estime que « Le Sebin est devenu un État parallèle ». Un réseau d’avocats, le Forum pénal vénézuélien, référence à 150 le nombre de prisonniers politiques détenus, poursuivis la plupart du temps pour « trahison à la patrie », « terrorisme » ou « rébellion ». Ces qualifications permettent de les placer en détention provisoire, même sans preuves recevables pour étayer les charges.
Amnesty internationale dénonce donc une « chasse aux sorcières » qui vise à arrêter arbitrairement les manifestants et à museler les dissidents. Erika Guevara Rosas, directrice d’Amnesty International pour les Amériques, a déclaré à l’occasion de la publication du rapport, qu’« au lieu de s’obstiner à faire taire toute voix dissidente, les autorités vénézuéliennes devraient se concentrer sur la recherche de solutions concrètes et durables à la crise profonde à laquelle le pays est confronté ».
Ces dénonciations rejoignent celles de l’Union européenne, des États-Unis, du Canada, du Brésil, de l’Argentine, de la Colombie, du Chili, du Guatemala, du Panama, du Pérou ou encore du Mexique. Accusé donc de « rupture de l’ordre constitutionnel » ou de « coup d’État », le gouvernement réfute ces accusations à travers les mots du ministère des Affaires étrangères. Érigé au rang de porte-parole, il considère que la série de condamnations venues de l’étranger est un « torrent des gouvernements de la droite intolérante et pro-impérialiste (…) dirigée par le département d’État et les centres de pouvoir américains ». La déclaration mercredi dernier de la ministre des affaires étrangères, Delcy Rodríguez, annonçant l’engagement de la procédure de retrait du Venezuela de l’Organisation des États américains (OEA) est la réponse directe du gouvernement à ces accusations. En effet la ministre a expliqué cette volonté « en raison de l’ingérence de l’OEA dans les affaires intérieures du pays pour satisfaire les intérêts des États-Unis ».
Une violence qui s’accentue : pro et anti Maduro dans les rues le 1er mai
L’opposition est dans la rue depuis un mois pour exiger un calendrier pour les élections de gouverneur – qui auraient dû avoir lieu en 2016 –, pour les municipales et pour la présidentielle. Elle réclame aussi la libération des prisonniers politiques, le respect de l’Assemblée nationale, où les opposants sont majoritaires, et l’autorisation de l’aide humanitaire internationale. Lundi 1er mai les rues vénézuéliennes ont une nouvelle fois été prises d’assaut par les manifestants, soit opposés à Nicolas Maduro soit en faveur de celui-ci. À l’occasion de la fête du travail l’objectif était clair pour les deux camps : maintenir la pression à la fois sur le gouvernement et l’opposition.
L’opposition a appelé ses manifestants à descendre dans les rues afin d’obtenir des élections générales dans l’année en cours. Et le pari a été réussi. Nombreux ont été les Vénézuéliens mécontents de la politique chaviste de Maduro à manifester. L’avenue Francisco de Miranda, une des artères principales de la ville de Caracas, était noire de monde en cette journée internationale des travailleurs. Au son d’une foule qui scandait « liberté, liberté, liberté », les antichavistes exigent de nouvelles élections et le départ de Maduro. Plusieurs d’entre eux ont tenté d’entrer, lors des manifestations de lundi et ce dans tout le pays, dans les bâtiments de la Cour suprême et de l’autorité électorale.
Sur l’avenue Bolivar, toujours à Caracas, les appuis de Nicolas Maduro avaient eux répondu en masse à son appel de la veille. En effet dimanche 30 avril, le président avait demandé à ses soutiens de se réunir. Dans le même temps, il annonçait une nouvelle hausse du salaire minimum de 60 % dans un contexte économique où le FMI table sur une inflation de 720 % pour 2017. C’est donc devant ses partisans chavistes, habillés de rouge, que le Président a déclaré vouloir engagé un processus de nouvelle constitution. La volonté du Président Maduro était d’organiser une manifestation « en faveur de la paix » selon ses propres mots. Cependant il est difficile de donner crédit à ce discours puisque les forces de l’ordre ont fait usage lundi de gaz lacrymogènes à Caracas pour barrer la route aux manifestants. Pour répondre à cette démonstration de forces, des manifestants cagoulés se sont mis à jeter des pierres, accompagnés par un concert de casseroles, signe de protestation. Ces affrontements ont principalement été localisés dans le sud-ouest de la ville de Caracas. L’opposition appelle de nouveau le peuple à « se rebeller » pour dénoncer la création d’une « assemblée constituante populaire » et du projet de nouvelle Constitution.
Constituante « citoyenne » et « dialogue de paix » voulus par Maduro : le processus de nouvelle constitution
Lors de la célébration officielle du 1er Mai, Maduro a donc annoncé devant ses soutiens la convocation d’une assemblée nationale constituante : « j’ai décidé de convoquer le pouvoir constituant originaire pour construire la paix dont la République a besoin ». Cette assemblée, « une Constituante du peuple » selon le Président vénézuélien et non « des partis politiques », a pour tâche la rédaction d’une nouvelle Constitution dans le but de remplacer celle de 1999 rédigée par 131 constituants élus au suffrage universel direct et secret et approuvée par référendum sous Hugo Chávez. Nicolas Maduro a expliqué qu’une partie des 500 membres de celle-ci seraient élus par différents secteurs de la société, afin que chaque secteur dispose de son représentant, « 200 à 250 seront élus par la base de la classe ouvrière, des communes, des missions, des Indigènes, des paysans, des quartiers, des mouvements sociaux Les handicapés et les retraités auront eux aussi leurs élus ». Les autres membres quant à eux « seront élus selon un système territorial avec un caractère municipal et local », sur la base des circonscriptions municipales et par scrutin direct. Après cette annonce, le Président s’est réuni au palais présidentiel de Miraflores avec ses ministres et les chefs des forces militaires pour signer le décret convoquant l’assemblée constituante. Il a par la suite annoncé, sans toutefois plus de précisions, « de nouvelles formes de démocratie participative ». Nicolas Maduro blâme ses détracteurs, « ils ne nous ont pas laissé le choix » se justifie-t-il. Pour lui cette réponse était la seule à donner face à la « guerre économique » et la « tentative de coup d’État » desquelles il estime être la victime. Même si la date de l’élection n’a pas été précisée par le Président Maduro il a été très claire quant à l’essence de cette assemblée : « une Constituante citoyenne, et non pas une Constituante des partis ni des élites, une Constituante ouvrière, communale, paysanne, une Constituante féministe, de la jeunesse, des étudiants, une Constituante indigène, mais surtout, mes frères, une Constituante profondément ouvrière, profondément communale », une Constituante répondant à la « révolution bolivarienne ».
« Escroquerie » et dialogue sans « garanties »: les dénonciations de l’opposition
L’initiative du président, appelant au dialogue, a cependant été rejetée en bloc par l’opposition qui estime que cette nouvelle Constitution est simplement la poursuite du « coup D’État » que mène Maduro contre le Parlement, lui contrôlé par l’opposition. Henrique Capriles, ancien candidat à la présidentielle et un des principaux dirigeants de l’opposition, a publié sur Twitter « Maduro renforce le coup d’État et approfondit la grave crise ». C’est une « manœuvre politicienne » que dénonce l’opposition, expliquant que le pouvoir essaye simplement de gagner du temps.
Plusieurs dirigeants de l’opposition, autre qu’Henrique Capriles, ont réagi et appelé une nouvelle fois la population à se soulever. Le président du Parlement Julio Borges s’est révolté lors d’une conférence de presse, estimant que cette Constitution « est une escroquerie pour tromper le peuple ». « Nous appelons le peuple à se rebeller et à ne pas accepter ce coup d’État », a-t-il continué. L’opposition s’inquiète aussi de cette désignation sectorielle par catégorie sociale. « Les Constituants ne seront pas élus par des votes libres, secrets et universels, critiquent les députés dans une déclaration. L’Assemblée constituante sélectionnée frauduleusement serait investie de tous les pouvoirs de L’État ». Ainsi, « le gouvernement obtiendrait le contrôle de tous les pouvoirs », y compris du Parlement, dont la majorité lui est opposée depuis les législatives de décembre 2015. « L’annonce du 1er mai consolide le coup d’État » de M. Maduro, assurent les parlementaires, qui exigent les élections prévues par la Constitution. José Ignacio Hernández, un juriste détracteur de Maduro, pense que « l’intention de [celui-ci] est de simuler un processus constituant pour faire élire un organe subordonné au gouvernement ». Nicmer Evans, chaviste dissident et dirigeant de Marée Socialiste, voit dans l’annonce de Maduro « un coup contre la Constitution promue par Hugo Chávez, la mort du projet chaviste décidée par le gouvernement ».
En signe de protestation à cette « fraude constituante », l’opposition a appelé à bloquer les rues de Caracas mardi 2 mai. Et alors que la population se remettait à peine des agitations du lundi, une grande manifestation a eu lieu mercredi 3 mai. Henrique Capriles a totalement écarté l’idée d’une reprise de dialogue avec le gouvernement.
L’appel du pape à mettre fin aux violences
Face aux tensions et à la situation qui se détériore de plus en plus sur place, le pape François a appelé à mettre fin aux violences le week-end dernier et a proposé une nouvelle médiation du Vatican dans la crise vénézuélienne. Huit pays du continent d’Amérique latine ont apporté leur soutien à cette proposition, dont le Brésil et l’Argentine. Le pape a déclaré que le Saint Siège est disposé à intervenir comme « facilitateur ». Radio Vatican explique que le pape a confirmé une intervention du Saint-Siège à Caracas: « suite à une requête déposée par les quatre chefs d’État médiateurs dans cette crise, l’intervention a été cependant sans suite car les propositions ont été diluées ou n’ont pas été acceptées. (…) Nous connaissons tous la situation difficile du Venezuela, un pays que j’aime beaucoup (…). Tout ce qui peut être fait doit être fait, conclut le souverain pontife, avec les garanties nécessaires » a déclaré le souverain pontife.
El Espectador, quotidien colombien traduit ici par Courrier International, rapporte que Nicolas Maduro se dit ouvert et prêt à accepter les propositions faites par le pape François. L’opposition, comme l’explique BBC Mundo, refuse la proposition du pape. En effet une partie des opposants ont fait savoir dans une lettre au pape qu’ils ne voulaient pas de dialogue avec le président par manque de « garanties » explicites sur les modalités de celle-ci. En effet Maduro a accepté que le Vatican reprenne la médiation qu’il avait assurée en 2016. Cependant il a estimé que cela devait être fait « à des conditions très claires » qu’il s’est bien gardé de spécifier.
Un manque de clarté dans les deux camps
La réponse à la crise vénézuélienne n’est pour le moment pas près d’être trouvée. L’aide internationale est demandée par l’opposition mais refusée par le gouvernement qui dénonce une ingérence. Le dialogue est rompu entre les deux parties. L’opposition elle-même n’est pas claire en son sein : la coalition entre la MUD et la Table de l’unité démocratique, créée en 2008, n’est pas homogène mais composée d’une trentaine de partis, de la droite la plus conservatrice à la gauche. Même si tous ont pour but de destituer Maduro et de mettre fin à la « révolution bolivarienne » les moyens pour y parvenir font débat. La proposition d’une nouvelle constitution du président Maduro est elle aussi assez floue : pas de dates précises, une simple définition de la nature de l’assemblée…
La MUD a beau être majoritaire à l’Assemblée nationale, elle ne peut imposer son agenda car le gouvernement verrouille l’ensemble des institutions vénézuéliennes. Depuis début avril cependant l’opposition antichaviste est en position de force : elle mobilise le peuple vénézuélien lors de manifestations massives et obtient l’appui de nombreuses instances internationales. Sept Vénézuéliens sur 10 souhaitent le départ immédiat de Maduro. Et la mobilisation va encore continuer : des étudiants des universités ont prévu de se réunir aujourd’hui, jeudi 4 mai, sous forme d’assemblées et de nouvelles marches depuis plusieurs centres universitaires. Cependant la manifestation du 1er mai rassemblant les soutiens au président Nicolas Maduro montre tout de même qu’une partie de la population reste fidèle à son gouvernement.
Beaucoup se rappellent l’échec, en décembre dernier, de la dernière tentative de négociations entre Maduro et ses détracteurs, déjà sous l’égide du Vatican. Alors quelle est la solution pour résoudre la crise vénézuélienne ? Des manifestations massives ? Un référendum révocatoire ? La fin du régime chaviste comme le veut l’opposition ?
Maud REA