Une grande confusion est liée à la situation politique de ce pays : l’opposition de droite dénonce « une dictature », terme repris par la presse européenne, les secteurs pro-gouvernementaux « une tentative de coup d’Etat » de la part de l’opposition. Qu’en est-il vraiment ? Tentons d’analyser les faits dans une situation des plus confuses au niveau de l’information.
Photo : Iskra
L’imbroglio constitutionnel : les deux camps crient au coup d’État ! L’affrontement entre le Tribunal suprême de Justice (TSJ, l’équivalent d’une Cour suprême) et le Pouvoir législatif (l’Assemblée nationale, AN) ne peut se comprendre que si l’on remonte aux sources du conflit constitutionnel. La BBC Monde propose une explication (1) : le 6 décembre 2015, élections législatives au Venezuela. Elles donnent une majorité qualifiée à l’opposition ce qui lui permet de s’opposer à toute action du gouvernement. Mais le 29 décembre 2015, des dénonciations de fraude dans l’élection de quatre députés de l’État de Amazonas (trois opposants et un pro-gouvernement) mènent le Tribunal suprême de Justice à ouvrir une enquête sur ces accusations de fraude et donc à « temporairement suspendre » l’intronisation de ces quatre députés. Or, l’Assemblée nationale les intronise malgré tout, ce qui, selon le TSJ, la met en violation de la loi électorale. Le TSJ place donc l’AN en situation de « desacato », que l’on pourrait traduire par « outrage à l’autorité » et la déclare, « sans validité, existence et efficacité juridique » et « en violation flagrante de l’ordre public constitutionnel ». En bref : l’AN a violé la Constitution et ne peut plus légiférer tant qu’elle accepte l’intronisation de députés sujets à une enquête pour fraude électorale. Dès janvier 2016, le TSJ annonce que « tant que dure le desacato, tout acte de l’AN sera nul et inconstitutionnel ». Tout le monde crie au coup d’État : le gouvernement parce que l’AN siège et légifère alors qu’elle est en situation de desacato déclaré par le pouvoir judiciaire ; l’Assemblée parce que le pouvoir judiciaire l’empêche de légiférer. Pourtant, il suffirait que l’AN retire l’intronisation des quatre députés accusés de fraude pour qu’elle retrouve toutes ses prérogatives. Crier au coup d’État lorsqu’on a violé la loi n’est peut-être pas la bonne réponse…
La MUD est-elle crédible ? La coalition d’opposition MUD (Mesa de la Unidad democrática) représente clairement le néolibéralisme orthodoxe qui avait été rejeté par le peuple lors des multiples élections depuis l’avènement de Chvez. L áoite a beau prétendre que Hugo Chavez a été un dictateur et Maduro est son disciple, la vérité oblige à dire qu’il y a eu treize élections sous observation internationale (entre autres, de l’UE) durant les mandats de Hugo Chavez, qui en a gagné onze et immédiatement reconnu et accepté ses deux défaites. Autre exagération de la droite : « il n’y a pas de liberté de presse au Venezuela ». La vérité est que parmi les mille stations radios du pays, 67 % sont privées, 28 % régies par des communautés et 5 % de propriété de l’État. De même, des 108 journaux, 97 sont privés et 11 publics. Près de 65 % de la population a accès à internet et toute l’information mondiale.
Pas de vrai programme politique. Les propositions économiques des deux principaux porte-paroles de la MUD, Henrique Capriles et Leopoldo López sont identiques : dans son manifeste « Lignes générales du programme de gouvernement d’unité nationale 2013-2019 », la MUD propose surtout d’augmenter la production de pétrole. À part le renversement de la présidence de Maduro, elle ne présente pas vraiment de programme politique attractif pour la population. Pourtant, sous le prétexte « d’irrégularités dans la gestion de fonds publics », Capriles a été condamné à 15 ans d’inéligibilité, un verdict éminemment politique visant à l’empêcher à se présenter aux élections de 2018, et qui nourrit les accusations de dérive autoritaire du gouvernement.
Pénuries réelles ou provoquées ? Il y aurait de graves pénuries en particulier de nourriture et de médicaments. Or les principales industries du secteur pharmaceutique (qui importent et distribuent la grande majorité des médicaments) ont reçu à taux de change préférentiel 1,6 milliard de dollars du gouvernement en 2008 et 1,7 milliard en 2015. Où est passé cet argent ? Il en serait de même pour les producteurs de certains aliments et de produits d’hygiène. Ces secteurs ont reçu des devises du gouvernement, toujours à taux de change préférentiel, ainsi que des matières premières à prix subventionnés. Où sont les produits ? Ce qui n’empêche personne de critiquer la gestion économique du gouvernement Maduro, une gestion trop fortement basée sur les revenus du pétrole.
Les échecs de Chavez. Le Venezuela est détenteur d’une des plus grandes réserves mondiales de pétrole. Et pourtant, ce fut longtemps un des pays les plus pauvres du continent. Les bénéfices du pétrole tombaient dans quelques bourses et ne bénéficiaient vraiment qu’à moins de 20 % de la population, jusqu’en 1998. Cette année-là, le peuple élit Hugo Chavez à la présidence. Il mène une politique de redistribution des richesses et d’investissement massif dans le service public. Selon la Banque mondiale, le taux de pauvreté descend de 42 % de la population à 33 % en quinze ans.
Le plus grand échec de la révolution bolivarienne est certainement de ne pas avoir su profiter de l’argent du pétrole pour diversifier l’économie et l’agriculture du pays. C’était pourtant un des objectifs de la politique de Chavez et sa volonté d’entrer dans le Mercosur était en partie due à cette motivation. L’abondance des ressources financières grâce aux revenus du pétrole permettait de quasiment tout acheter à l’extérieur, d’importer à peu près tous les biens de consommation, y compris la nourriture. L’effondrement des prix du pétrole (passés de plus de cent dollars le barril à moins de trente !) ne permet plus d’acheter ces biens et est le principal facteur de la crise économique du pays. D’autre part, la corruption a, de tous temps, été le fléau du Venezuela. Soit par avidité des mieux nantis, soit par nécessité pour satisfaire les besoins essentiels pour les plus pauvres. Le chavisme a échoué dans sa volonté d’éradiquer ce fléau. La corruption des agents de l’État, des petits chefs de quartiers et de cadres officiels a beaucoup fait pour décourager et indigner une bonne partie des citoyens.
Une opposition de gauche. Un secteur du chavisme conteste également les politiques économiques du gouvernement. Le militant d’écologie politique vénézuélien Émiliano Terán (2) dénonce la création de zones économiques franches, la flexibilisation des conventions signées avec les multinationales qui exploitent le pétrole de la Frange de l’Orinoque et les paiements du service de la dette au lieu d’acheter de la nourriture. Ce secteur rejette également l’autorisation donnée aux grandes compagnies minières d’exploiter 110 000 km2 sur l’Arc minier de l’Orinoque. Pour le politologue Raúl Zibechi, « Nous sommes en présence d’une lutte sans quartier entre une bourgeoisie conservatrice qui a été écartée de l’appareil de l’État et une bourgeoisie émergente qui utilise l’État comme un levier d’accumulation primitive » (3). Comme toujours au détriment de la population…
Une grande effervescence populaire. Les manifestations pour ou contre le gouvernement se suivent, de plus en plus violentes : on compte déjà 24 morts dont plusieurs militaires et policiers, et neuf personnes électrocutées lors du pillage d’un magasin. Il n’y a, pour l’instant, aucune certitude quant à l’origine de plusieurs décès par balles, les deux côtés comptant sans doute des têtes brûlées. L’opposition a organisé de grandes marches populaires, largement décrites par les médias européens, auxquelles ont répondu d’aussi grandes manifestations pro-gouvernementales, largement ignorées par la presse européenne. Dans les quartiers, les gens se réorganisent en comité de défense. Lorsque des casseurs de l’opposition ont mis le feu à une maternité à Caracas, ce sont les voisins organisés qui ont réussi à sauver les 54 bébés et leurs mères. Les petits paysans tentent de ravitailler les villes alors que les grands producteurs sont aux abonnés absents. Le rejet de la corruption officielle motive une profonde réorganisation locale chez les chavistes déçus par la gestion du président Maduro.
Y a-t-il ingérence des États-Unis ? Les menaces d’intervention sont réelles. Le président Barack Obama avait déclaré que « Le Venezuela était un danger extraordinaire pour la sécurité des États-Unis ». On voit quand même mal le Venezuela vouloir envahir les USA. Que serait donc ce « danger extraordinaire » ? Que dire alors des déclarations de l’amiral Kurt Tidd, chef du Commando Sud des États-Unis qui « attend l’ordre d’intervenir » au Venezuela ? L’OEA (Organisation des États Américains, dont le siège est à Washington), considéré par beaucoup de Latinos comme le bras politique de Washington en Amérique latine, réclame l’application de sa Charte démocratique qui lui permettrait d’intervenir au Venezuela en déclarant le gouvernement « illégal ». Le député états-unien Marco Rubio a menacé Haïti et la République Dominicaine de « coupures massives » des aides US s’ils ne soutenaient pas la motion d’une intervention extérieure contre Venezuela… Il y a bien menaces d’intervention…
Vers une intervention militaire ? On serait tenté de répondre « Pas encore » ! On comprend mieux l’intérêt des États-Unis envers le Venezuela lorsque l’on se rappelle que ce dernier compte pour plus de 12 % du pétrole importé par les premiers, énormes consommateurs de cette énergie. Un gouvernement vénézuélien plus favorable aux transnationales pétrolières conviendrait parfaitement aux intérêts US. Le journaliste Marcelo Colussi rappelle les paroles inquiétantes de James Paul lors du Global Policy Forum (4) : « De même que le gouvernement a besoin des entreprises pétrolières pour garantir le combustible nécessaire pour mener la guerre globale, les compagnies pétrolières ont besoin de leurs gouvernements et de leur pouvoir militaire pour s’assurer du contrôle des gisements du pétrole dans le monde ainsi que des routes de transports ». L’opposition de la MUD sait qu’elle peut compter sur le soutien des États-Unis jusqu’à faire tomber le gouvernement Maduro. Si la situation politique continue à dégénérer au Venezuela, une intervention militaire décidée par un président Donald Trump toujours imprévisible, pourrait très bien avoir lieu…
Dernière minute : Après que le secrétaire général de l’OEA, Luis Almagro ait traité Nicolas Maduro de « petit dictateur » et organisé une réunion des ministres des Affaires étrangères pour discuter « de la suspension du Venezuela de l’OEA », le gouvernement a pris les devants. La ministre Delcy Rodríguez a annoncé que le Venezuela allait engager la procédure demandant son retrait de l’institution « en raison de l’ingérence de l’OEA dans les affaires intérieures du pays pour satisfaire les intérêts des États-Unis ».
Jac FORTON