Fortes turbulences sur les institutions de l’État brésilien

La destitution de l’ancienne présidente Dilma Rousseff, les accusations non encore prouvées contre Lula da Silva, la mise en examen du président du Sénat, Renan Calheiros (photo à la une), et la confrontation Sénat – Justice qui en découle, secouent et déstabilisent profondément les institutions brésiliennes.

Après la destitution de Dilma Rousseff, éliminer Lula da Silva ?   La destitution de la présidente Dilma Rousseff (Parti des travailleurs, PT, gauche) est considérée par de nombreux analystes comme un coup d’État institutionnel laissant le champs libre à la droite qui a pu la remplacer par son vice-président Michel Temer, président du PMDB (Parti du mouvement démocratique, droite). Le juge Sergio Moro accuse maintenant l’ancien président Lula da Silva d’être propriétaire d’un appartement à Grujaú, sur la côte de Sao Paulo qui lui aurait été donné par une entreprise de construction en échange de bénéfices issus de la fraude affectant Petrobras, l’entreprise nationale du pétrole. Fin novembre, le juge a convoqué plusieurs personnes en tant que témoins à charge mais les huit premiers témoins ont tous nié avoir quelque type de relation que ce soit avec Lula ! Cela fait deux ans que le juge accuse Lula sans qu’aucune preuve n’ait encore été trouvée…

Par ailleurs, un magistrat du Ministère public, Deltan Dallagnol, connu pour « faire passer la Bible avant la Constitution »,  accuse Lula d’être le « commandant en chef de la corruption du Brésil ». Encore une fois,  aucune preuve mais dans le contexte brésilien actuel, cela semble peu importer… De nombreux Brésiliens craignent que l’objectif est de « casser »  le Parti des travailleurs et d’empêcher Lula, encore très populaire, d’être son candidat à la présidence lors des élections de 2018 car il serait probablement élu. Il faut donc trouver un délit qui permettrait d’empêcher sa candidature. Sans succès pour le moment.

Pour Lula : « La persécution judiciaire que je subis est l’œuvre d’une élite politique et économique qui ne pardonne pas qu’un ouvrier soit président. Cela fait deux ans qu’ils cherchent des crimes dans ma vie et ne trouvent rien. Ils m’en veulent pour avoir amélioré la vie du peuple ; aujourd’hui, tout le monde peut manger trois fois par jour, les enfants de la domestique et des paysans sont ingénieurs ou médecins. Cela, ils ne me le pardonnent pas.  La démocratie est en danger…»  Pour ses avocats, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une persécution politique.

L’affaire Calheiros : le Sénat contre la Justice.    La justice poursuit son enquête contre la corruption issue de fraudes commises dans le cadre de Petrobras et connue comme le Lava Jato (Lavage express). Parmi les cibles, Renan Calheiros, président PMDB du Sénat et grand promoteur de la destitution de Dilma Rousseff. Fin novembre, Calheiros, déjà visé par une dizaine d’accusations de fraudes diverses, est mis en examen pour détournements de fonds publics. L’association Rede Sustentabilidade (Réseau durable) dépose  immédiatement un recours en justice contre lui devant le juge fédéral Marco Aurelio Mello car un décret récent du Suprême Tribunal Fédéral a établi que « une personnalité mise en examen ne peut occuper un poste qui le mène dans la ligne de succession présidentielle » en cas de mort ou de destitution par exemple. Or le président du Sénat est deuxième dans cette lignée, la première place revenant au président de la Chambre des députés, Rodrigo Maia. Le juge Mello suspend  Renan Calheiros de ses fonctions de président du Sénat, ce qui provoque un grand émoi dans les rangs des partisans du président Michel Temer, pour deux raisons principales. D’abord, de nombreux parlementaires, craignant les retombées du Lava Jato (plusieurs ont déjà été mis en examen) voudraient voter une loi limitant le pouvoir des juges. Ensuite, le gouvernement veut faire voter des lois très impopulaires établissant une limitation aux augmentations des dépenses publiques pour les prochains 20 ans ! Ces lois toucheraient plus particulièrement les dépenses sociales, l’éducation et la santé, bref les secteurs les plus vulnérables de la population. Le PT s’y oppose. Si Calheiros est écarté, sa place est prise par Jorge Viana du PT qui s’efforcerait de repousser ces mesures au prochain Congrès. Les sénateurs ont donc décidé d’ignorer la décision de justice et de maintenir Renan Calheiros à son poste, ouvrant ainsi la voie à un conflit direct entre les pouvoirs Législatif et Judiciaire.

Le 7 décembre, le Tribunal suprême, qui n’avait pas bronché lors de la destitution de la présidente élue, s’incline piteusement devant le coup de force du Sénat et accepte que Renan Calheiros reste à son poste jusqu’en février, tout en protestant du bout des lèvres que « la désobéissance à un ordre judiciaire de la Cour suprême pourrait être considéré comme un coup d’Etat ».

Jac FORTON