Le 12 octobre 2016, un jour pas comme les autres… pour les Amériques

Le 12 octobre est depuis bien des années l’occasion d’une communion culturelle. Le jour est férié en Espagne et dans seize pays d’Amérique. Le 12 octobre est en effet un moment symbolique. Cette fête prétend consolider un dénominateur commun transatlantique. La commémoration participe à toutes les constructions qui mettent en évidence le lien historique, attachant la péninsule Ibérique au monde américain.

Au fil des ans, et en 2016 plus que jamais, le 12 octobre est en quête de sens. Il est à dire vrai bousculé depuis la fin du siècle dernier. Et de contradictions en contestations, il se décline en versions parallèles, plus ou moins compatibles entre elles. Est-il ibéro-américain ? Est-il panaméricain ? Est-il panespagnol ?  Est-il afro-américain ? Est-il pan-autochtones ? Cristobal Colomb, on le sait a touché les Amériques aux Bahamas, un 12 octobre 1492. Il pensait avoir touché l’Asie. L’erreur a été corrigée bien des années plus tard par un autre navigateur, Amerigo Vespucci. Vespucci avait très simplement appelé ces terres inconnues, Mundus Novus. Les  géographes de Saint-Dié ont à juste titre donné le 25 avril 1507 son nom, « Amérique », au continent ignoré des Européens.

La commémoration de la première escale américaine de Christophe Colomb avait ouvert le feu des controverses en 1992. Colomb, outre le fait qu’il pensait avoir touché l’Asie, a-t-il découvert l’Amérique ? Ou a-t-il été découvert par les peuples du continent ? Les Espagnols qui étaient en  respectabilité reconquise et en recherche d’influence défendaient le label de la « Découverte ». Outre Atlantique on affichait la thèse préférentielle d’une rencontre entre deux mondes. Les choses jusque-là étaient toutes simples. L’Espagne avait en 1892, pour le IVe centenaire du voyage de Colomb, lancé l’idée d’une célébration partagée avec ses anciennes colonies du Nouveau monde. Son Roi, Alphonse XIII, quelques années plus tard, a officialisé la commémoration. Le 12 octobre 1918 Madrid célébrait sa première fête nationale, baptisée, Día de la Raza. Jusqu’en 1958. Où le 12 octobre a pris le nom de « Jour de l’Hispanité ». La démocratie revenue, en 1987,  a validé la fête nationale. Mais a jeté par-dessus bord les références à la « Race » ou à  » l’Hispanité ».

 Côté américain, depuis 1992, chacun a interprété le 12 octobre à la sauce nationale qui lui convenait. Les anglophones, Bahamas, Belize, États-Unis, ont perpétué la référence à Christophe Colomb et à la Découverte. L’Hispanité fait de la résistance en Colombie, au Salvador, la Race au Honduras. La pluriculturalité a fait des adeptes en Argentine, au Costa Rica et en Équateur. La référence aux peuples originaires s’est imposée au Nicaragua, au Pérou, et au Venezuela. De façon plus originale, la Bolivie en a fait la fête de la Décolonisation, le Chili de la Rencontre entre deux mondes, et l’Uruguay le Jour des Amériques. Trois pays l’ignorent. Le Brésil qui célèbre ce jour-là l’Aparecida, la Sainte Vierge, version locale, Cuba, qui privilégie le 10 octobre pour rappeler le soulèvement indépendantiste de 1868, et le Paraguay. Mais c’est d’Espagne d’où était venue l’initiative en 1892, que pourrait bien venir le coup de sape final. Le 12 octobre 2016 est en effet  victime de la grave crise multidimensionnelle que vit l’Espagne. Après les courses de taureaux, le drapeau, le roi, le 12 octobre est à son tour entré dans le vent des contestations. Les partis nationalistes, basques et catalans, Podemos et ses alliés catalan, galicien et basque, ont publiquement rompu, le 12 octobre 2016, avec la fête nationale.

Elle est qualifiée de franquiste par les uns, d’espagnole et impérialiste par d’autres. Les présidents des Communautés régionales basque, catalane, et navarraise ont donc refusé d’y participer. Le chef de Podemos a décliné l’invitation du souverain. La maire de Madrid s’est fait représenter. Dix-neuf municipalités de Catalogne ont décidé que le 12 octobre serait un jour de semaine comme les autres. Il n’a donc pas été férié. Le Pays basque avait montré la voie en célébrant, la démocratie restaurée, Bolivar plutôt que Colomb. Le gouvernement nationaliste a en effet inauguré le 24 juillet 1983 un musée des indépendances latino-américaines dans le village souche du Libérateur, Bolibar-Ziortza en Biscaye. Le 12 octobre 1492, Rodrigo de Triana, marin du bateau amiral de Christophe Colomb, a le premier vu le continent nouveau. Il a donc crié « Tierra a la vista ! », « Terre ! Terre ! ». Le 12 octobre 2016 la confusion territoriale est le maitre mot, dans les Espagnes comme dans les Amériques. La ligne des Terres communes s’est paradoxalement perdue, sans doute dans le triangle des Bermudes.

Jean-Jacques KOURLIANDSKY