Entre Cuba et New York, entre le Mexique et Paris, un homme et une jeune femme, qui ont voulu leur exil, tentent de s’acclimater à une autre existence, et surtout de laisser de côté d’anciennes blessures qui les ont poursuivis jusque dans leur présent. Les deux monologues se répondent en s’opposant ou en se complétant, avec un point qui leur est commun : le bonheur n’est pas le lot de ces deux personnes. Avec Après l’hiver, lauréat du prix Herralde en Espagne, Guadalupe Nettel poursuit une œuvre originale, dérangeante et profonde.
Désabusé, il est profondément désabusé, Claudio, l’un des deux narrateurs. Pour lui, l’image du paradis est toute blanche et glacée. Il s’est construit une distance infranchissable avec les autres, avec tous les autres, il ne veut avoir de contacts avec aucun être humain et la seule relation qu’il entretient, avec Ruth, celle qu’il appelle sa cougar, ne comporte aucune trace de sentiment. Cecilia, l’autre voix, est aussi solitaire mais n’a rien décidé. Sa nature mélancolique l’a menée jusqu’à cette vie qu’elle n’aime pas vraiment, mais qu’elle accepte faute de mieux. Elle ne croit se sentir bien que dans une tiédeur qu’elle confond souvent avec la sérénité.
La description de ces deux personnages est magistrale : par petites touches d’une grande justesse, Guadalupe Nettel les rend attachants quand ils devraient logiquement paraître horripilants. Leur souffrance personnelle, juste suggérée, est pourtant manifeste et ne peut que nous les rendre proches malgré tout. Ce qu’on sait d’eux est trompeur, ou tout au moins porteur de doutes : ont-ils l’âge qu’ils semblent avoir ? Sont-ils aussi détachés de ce qui fait leur vie de tous les jours qu’ils semblent l’être ? Ce sont un homme qui croit se protéger d’un monde qu’il a décidé de juger hostile et une femme qui, sans être à même de se diriger seule, souffre de ne pouvoir le faire. Leur rencontre sera-t-elle possible ?
Si, pour Claudio, tout tourne autour de la mort des passions, la mort physique rôde autour de Cecilia. Les cimetières tiennent une place importante dans sa vie, celui du Père Lachaise, sur lequel donnent ses fenêtres, ceux de Montmartre ou du Montparnasse, qu’elle visite avec son voisin Tom, un Italien qui sait que sa maladie ne tardera guère à envoyer ses restes dans une des niches qu’il s’est déjà achetées dans plusieurs nécropoles européennes. Guadalupe Nettel nous offre un roman riche et exigeant. Exigeant, il l’a sûrement été pour son auteure. Il l’est aussi pour le lecteur, qui doit accepter sa rudesse et la désespérance tranquille de ses personnages, mais qui aura la profondeur des idées comme récompense. Sans oublier une lueur d’espoir, ténue mais réelle, qui finit pas s’allumer.
Christian ROINAT