Les États-Unis ont décidé de tout faire pour trouver au Venezuela une sortie de crise par la voie du dialogue. L’information, annoncée le 15 juin 2016, a pris par surprise les commensaux participant à l’Assemblée générale de l’OEA (Organisation des Etats Américains) réunis à Saint Domingue. Tout comme elle a profondément déçu les représentants de l’opposition qui, dans les couloirs de la conférence, défendaient la nécessité d’une exclusion ou, au minimum, d’une sanction à l’égard du Venezuela de Nicolas Maduro.
La nouvelle est d’importance. La crise vénézuélienne s’est en effet égarée dans une voie sans issue pacifique. Le pays est difficile à gouverner en temps ordinaires. Le difficile a viré ces derniers mois à l’aigreur. Le pays victime de la chute brutale des prix du pétrole est incapable d’assurer ses fins de mois. Certains produits de première nécessité font défaut. Le bolivar, la monnaie nationale, se décline en trois changes différents. Ce qui en ces temps de disette monétaire encourage toutes sortes de trafics et de détournements. En dépit d’une légère reprise des cours du baril, le Venezuela est loin du compte et de pouvoir vivre à la hauteur des besoins de sa population.
Le mécontentement compréhensible de la population a donné à l’opposition, le 6 décembre 2015, le coup de pouce électoral qu’elle attendait depuis 19 ans, depuis la première victoire d’Hugo Chávez… Ce jour-là, en dépit de sa diversité idéologique et donc de son absence de crédibilité positive, l’opposition a emporté les deux tiers des sièges de députés. Problème, en 2013, année des dernières élections présidentielles, c’est Nicolas Maduro, héritier de Hugo Chávez qui avait gagné. Depuis le début de l’année une cohabitation de combat enfonce un peu plus dans l’incertitude un pays en instabilité économique et sociale chronique.
La victoire de la droite libérale en Argentine, l’échec référendaire d’Evo Morales en Bolivie, la poussée du PAN (parti d’Action Nationale, droite) au Mexique, les critiques publiques de Nicolas Maduro par le gouvernement espagnol dirigé par le Parti Populaire (droite), avaient tendu un peu plus la situation. Nicolas Maduro criait au loup, dénonçant une opposition selon lui prête à tout pour accélérer sa chute. Il dénonçait pêle-mêle, Mariano Rajoy (président du gouvernement espagnol), Álvaro Uribe (ex-président de Colombie), et Barak Obama. Stimulés par ce contexte idéologique ami, quelques-uns dans l’opposition caressaient un projet d’alternance à la brésilienne.
Henrique Capriles, leader du parti d’opposition de centre droit Primero Justicia, en cohérence avec ses principes, a condamné le quasi coup d’État brésilien. Il a imposé à l’éventail de ses coreligionnaires une alternance constitutionnelle, le recours à un référendum révocatoire du président sur initiative populaire. L’absence de confiance mutuelle menaçait le projet. Le Venezuela politique tanguait de plus en plus. L’opposition la plus extrême demandait la tenue du référendum dans les plus brefs délais. Les autorités exigeaient que soit respecté le préalable de l’authentification des signatures de ceux qui soutenaient la tenue de la consultation.
L’approche de la 46e Assemblée générale de l’Organisation des États Américains (OEA) menaçait de tourner au vinaigre. L’opposition, après diverses démarches dans les pays et partis amis, a réussi à convaincre le secrétaire général de l’OEA, l’uruguayen Luis Almagro, ex ministre des affaires étrangères de Pepe Mujica, d’engager une procédure d’exclusion fondée sur le non-respect du volet démocratique de la Charte de l’institution interaméricaine. Les débats préalables à l’Assemblée générale avaient déçu les opposants. La grande majorité des pays membres ne souhaitait pas que l’un des siens puisse être sanctionné au risque de valider un droit d’ingérence, rappelant de fâcheux précédents.
L’Unasur, l’Union des nations d’Amérique du Sud alors a pris le relais en proposant ses bons offices aux autorités et à l’opposition. Trois anciens chefs d’exécutifs, l’espagnol José Luis Rodríguez Zapatero, le panaméen Martín Torrijos et le dominicain, Leonel Fernández, ont rencontré les uns et les autres. Ils ont été reçus. Zapatero a été autorisé à visiter l’un des leaders de l’opposition, Leopoldo López, emprisonné depuis les violentes émeutes de 2014. La détente était évidente. Mais l’issue de ces premiers pas restait nébuleuse.
La décision prise par les États-Unis dans un tel contexte revêt un caractère décisif. Barak Obama a décidé de seconder les efforts de l’Unasur. Après un entretien de John Kerry, Secrétaire d’Etat (=ministre des affaires étrangères), avec Delcy Rodríguez, ministre vénézuélienne des Affaires étrangères, un diplomate chevronné a été chargé du suivi du dossier, Thomas Shannon. Tom Shannon, qui a été responsable Amérique latine de George Bush et ancien ambassadeur au Brésil est, par ailleurs, parfaitement hispanophone. Le geste est en accord avec la décision. Ce faisant les États-Unis désavouent l’OEA et son secrétaire général, ce qui constitue une première diplomatique inédite.
Barak Obama confirme ainsi deux choses sans doute liées à la fin de son mandat et au cours pris par la campagne présidentielle nord-américaine. La première est de fabriquer de l’influence en faisant bouger les lignes, en débloquant les contentieux par la voie de la négociation. Ce qui est fait avec le Venezuela est cohérent avec d’autres initiatives antérieures prises pour rétablir des relations normales avec l’Iran et Cuba, voire avec le Vietnam. La seconde est de transformer l’essai cubain pour rétablir un espace d’influence en Amérique latine reposant sur des rapports moins asymétriques et plus démocratiques.
Jean-Jacques KOURLIANDSKY