L’ancienne présidente Cristina Fernández et l’actuel président, Mauricio Macri font l’objet d’enquêtes judiciaires, la première pour une procédure administrative de la Banque centrale argentine, le second parce qu’il apparaît dans le conseil d’administration d’entreprises citées dans les Panama Papers. Explications.
Les accusations contre Cristina Fernández : le juge Bonadio se trompe-t-il d’accusée ?
Tout d’abord et contrairement à ce qu’en disent les grands journaux argentins (suivis par certains collègues français, voir la controverse entre Le Monde et La Nación), l’ancienne présidente n’est, pour le moment, citée dans aucun Panama Papers. L’accusation dont elle est l’objet concerne une procédure de la Banque centrale argentine dans laquelle elle n’est même pas nommée par ses auteurs !
Elle a pour auteurs le sénateur Federico Pinedo et le député Mario Negri qui ont dénoncé les autorités de la Banque centrale argentine (BC) dans un dossier intitulé “Achat-vente de dollars à futur”. Cette procédure est classique dans les milieux financiers et a été utilisée par presque tous les gouvernements depuis la fin de la dictature. De quoi s’agit-il ? Le contrat du dollar à futur concerne les variations du taux de change du dollar par rapport au peso, la monnaie nationale. Les parties conviennent d’un taux précis du dollar sur une période déterminée. À la fin de cette période, les parties se compensent mutuellement. Si la valeur du dollar a augmenté, c’est tout bénéfice pour la BC et l’État qui empoche la différence. Si sa valeur a baissé, c’est une perte pour la BC et l’État doit payer la différence sur ses réserves. Cette procédure est une opération tout à fait légale de politique économique déterminée par les autorités financières d’un pays.
Pour ne pas avoir à dévaluer la monnaie en septembre 2015, la Banque centrale argentine vend ses contrats dollars à futur (à mars 2016) à qui veut les acheter à un taux de 10,65 pesos par dollar. Alors que le parti de centre gauche de Cristina Fernández de Kirchner (que beaucoup d’Argentins surnomment CFK) pensait gagner les élections de décembre 2015, c’est Mauricio Macri, un politicien néolibéral ultra-orthodoxe qui les remporte de peu. Il dévalue immédiatement le peso de près de 42 % en décembre 2015. La perte pour la BC est de 65 milliards de pesos (4 milliard d’euros) (1) ! L’accusation des parlementaires contre la BC est d’avoir provoqué un déficit majeur à l’État. C’est de la mauvaise foi car ce déficit est dû exclusivement à la méga dévaluation mise en œuvre par Macri.
L’accusation, dirigée uniquement contre la Banque centrale, ne mentionne absolument pas l’ancienne présidente ni son ministre de l’Économie Axel Kiciloff. C’est le juge Bonadio, ouvertement anti-CFK, qui a décidé que, pour instruire le dossier, il fallait interroger la présidente et si possible, l’incarcérer, but ultime de ce magistrat soutenu par l’actuel président.
L’accusation des parlementaires ne visant pas Fernández, le juge doit inventer une charge. Il déclare “qu’un groupe de fonctionnaires, de forme systématique, concertée et organisée ont réalisé diverses actions de caractère politique et administratif en violation des compétences de la Banque centrale pour concrétiser des opérations de dollar à futur au détriment du Trésor public, par une offre de contrats de dollars à futur à une valeur inférieure au prix du marché”. Il n’accuse personne d’avoir volé de l’argent mais d’avoir mis sur pied une politique économique qui a produit des pertes. Ce qui constituerait un crime, un libellé qui lui permettrait d’incarcérer les accusés. Estimant qu’en tant que présidente, c’est Fernández qui est l’instigatrice principale de ce “crime”, le juge la convoque à son bureau pour le jeudi 14 avril.
La réponse vigoureuse de l’ancienne présidente
Elle fait remarquer qu’elle a choisi de ne pas bénéficier d’une immunité à laquelle elle a droit parce qu’elle préfère présenter elle-même sa défense face au juge Bonadio. Quand elle arrive au tribunal, elle et son avocat Carlos Beraldi, sont reçus par le magistrat Eduardo Taiano et menés dans le bureau de la secrétaire du juge qui, lui, n’est pas encore là. La secrétaire lit l’accusation et les preuves. CFK demande où est le juge. La secrétaire lui répond qu’il n’apparaîtra que si l’accusée accepte de répondre à ses questions. CFK annonce alors qu’elle ne répondra pas aux questions du juge car elle a, la veille, déposé devant la justice une demande de récusation du magistrat “pour inimitié mutuelle manifeste”, parce qu’il existe “une aversion politique évidente” du juge envers elle et enfin, “pour incompétence technique d’un juge partial et politiquement orienté”.
Elle présente alors sa plaidoirie de défense sous forme d’un document écrit qu’elle lit puis remet à la secrétaire. Elle lui rappelle que “la seule organisation à laquelle j’ai participé est celle du Pouvoir exécutif national par deux fois par la volonté majoritaire du peuple argentin avec 46 et 54 % des votes…” Les efforts démesurés pour détruire l’image de l’ancienne présidente pourraient bien se retourner contre les commanditaires. Cette “chasse à la présidente” évidente pourrait bien retourner l’opinion publique : plutôt qu’accusée, elle deviendrait victime de persécution politique…
Retour de CFK sur la scène politique
À sa sortie du tribunal, elle prononce un discours devant des dizaines de milliers de citoyens venus lui signifier leur soutien. Un vrai discours politique : “Ils ont cherché la Route de l’argent K (pour Kirchner), ils ont trouvé la Route de l’argent M (pour Macri). Cette hypothèse d’association illicite est une autre preuve du caractère arbitraire de la procédure et révèle l’intention du gouvernement, avec la collaboration incontournable du pouvoir judiciaire, d’inventer une cause pénale contre moi pour me priver de liberté… Ils peuvent me convoquer 20 fois et m’emprisonner, ils ne me feront pas taire… Les paladins de la moralité sont à la une de tous les journaux du monde sauf en Argentine ! J’appelle à un front citoyen pour défendre les droits qui viennent de nous être arrachés [par les politiques du gouvernement Macri].”
Le juge Bonadio
L’accusateur de l’ancienne présidente est l’objet de deux demandes de récusation. En avril 2016, les avocats de Pedro Biscay, un des directeurs de la Banque centrale mis en examen par le juge instructeur, ont présenté une demande de récusation pour double standard dans son traitement entre les accusés et le procureur qui est chargé de juger le dossier : les avocats n’ont pas accès au dossier, parfois pendant plus d’un mois alors que l’accusation l’a obtenu tout de suite ; ils ne peuvent entendre les déclarations des témoins ; les formalités requises durent des semaines pour la défense mais sont réglées en trois jours pour l’accusation ; le juge refuse de recevoir des documents de la défense qui doit alors les remettre à un autre magistrat qui les transmet ensuite au juge, etc. Les trois magistrats chargés d’étudier la récusation reconnaissent “un certain zèle” du juge Bonadio et lui recommandent une plus grande rapidité d’action mais ne voient pas matière à récusation.
Suite à la demande de “destitution” du magistrat déposée par Cristina Fernández, Bonadio est maintenant l’objet d’une enquête pour “utilisation abusive et arbitraire de son pouvoir”. CFK rappelle qu’en pleine dévaluation du peso décidée par Macri, le même Bonadio, bien qu’il estimait que ce serait ruineux pour l’État, avait autorisé le nouveau directeur de la BC, Federico Sturzenegger, à effectuer les paiements. Il utilise donc comme matière à accusation une mesure qu’il a lui-même approuvée ! Il faut maintenant attendre la décision de la Commission d’accusation et de discipline du Conseil de la magistrature. Elle doit désigner un de ses membres pour étudier le dossier et faire ses recommandations au Conseil qui délibérera en session plénière et décidera s’il accepte ou rejette la récusation du juge.
Mauricio Macri : l’arroseur arrosé ?
Le nom du président Macri apparaît dans le conseil d’administration de trois entreprises créées par l’agence Mossack Fonseca et révélées dans les Panama Papers. Plutôt embarrassant pour quelqu’un qui a juré de lutter contre la corruption ! Cependant, il bénéficie de la bienveillance des pouvoirs judiciaire et médiatique qui préfèrent s’acharner sur les Kirchner qui pourtant n’apparaissent pas dans ces papiers.
Les journaux reprennent en chœur les “explications” du président : “Il n’y a rien d’étrange dans cette opération qui a d’ailleurs été déclarée aux impôts par mon père Franco Macri. Il s’agissait de tenter d’investir au Brésil…” Il faudra bien qu’il explique pourquoi pour être transparent pour investir au Brésil, il faut passer par un notaire uruguayen qui s’adresse à une firme panaméenne qui ouvre des comptes secrets aux Bahamas ! Macri déclare que son entreprise panaméenne Fleg Trading fut créée en 1998 pour “développer l’entreprise ‘Pago Facil’ au Brésil”. Mais “comme la succursale brésilienne n’a jamais fonctionné, le compte est resté inactif pendant 10 ans”. Dans son édition du 11 avril dernier, le journal argentin Página12 révèle que Pago Facil Brésil a bien commencé à fonctionner le 5 avril 2001. Son directeur local en a fait la pub dans le journal La Nación du 15 avril 2002 clamant en termes enthousiastes l’ouverture de 25 succursales au Brésil “pour commencer”…
Autre déboire pour Macri
Son secrétaire d’État aux droits humains, Claudio Avruj, est lui aussi pris dans la tourmente : les Panama Papers ont révélé qu’il était président de la société anonyme Kalushy dont sa femme est trésorière. Pour expliquer cette présidence, Avruj déclare que, membre du mouvement B’nai B’rith (2), ce compte a été ouvert par le mouvement pour respecter le droit du travail panaméen lorsqu’il était responsable du district 23 des Caraïbes. Le lendemain, B’nai B’rith démentait catégoriquement avoir créé une telle entreprise au Panama.
Jac FORTON