Le premier président de la République chilienne, élu après la dictature du général Pinochet, est mort ce mardi 19 avril. Il avait été président entre 1990 et 1994. Pendant deux décennies, Aylwin s’est trouvé dans la première ligne du coup d’État militaire en 1973 et dans celle du retour à la démocratie en 1989.
Quand Allende pris le pouvoir en 1970, Aylwin – avocat et fondateur de la Phalange, devenue en 1957 le parti démocrate-chrétien – était sénateur et président de son parti. Il voyait avec crainte la révolution non-violente de l’Unité populaire d’Allende et fut un ardent opposant. Salvador Allende, quelques jours avant le coup d’État, lors d’un de ses discours marqués par le dramatisme de la situation du pays, avait dit, sans citer explicitement le leader démocrate-chrétien et son intransigeance : “ils sont en train de nous priver du sel et de l’eau pour nous empêcher de gouverner”.
Aylwin, au cours de ces mêmes journées avait déclaré à The Washington Post, que s’il devait choisir entre “une dictature marxiste et une dictature de nos militaires, (il) choisirai(t) la deuxième”. Des années plus tard, lors de son premier grand discours en tant que président démocratiquement élu et dans le lieu symbolique du stade national de Santiago, devant de plusieurs milliers de Chiliens et des personnalités du monde entier, Patricio Aylwin revient sur cette opinion : “Les faits ont démontré depuis que ceux qui avaient cru à la version officielle de la junte militaire, – qui assumait le pouvoir pendant un laps de temps, poussée par les graves circonstances du pays, – avaient pêché par naïveté (….) Notre vision des forces armées, influencée par une tradition de respect envers les institutions et de subordination envers le pouvoir civil, était erronée.”
Dans son long et émouvant discours, Aylwin a voulu marquer l’importance de le faire dans ce stade de football, disant : “Dans des tristes jours d’aveuglement et de haine, sous l’emprise de la force sur la raison, ce lieu fut pour des très nombreux compatriotes un lieu de détention et de torture, c’est pourquoi aujourd’hui tous les Chiliens, clamons devant le monde qui nous regarde : Plus jamais ! Plus jamais d’atteintes à la dignité humaine, plus jamais de haines fratricides !”
“Le Chili a perdu un grand homme d’État, un homme qui plaçait l’unité avant nos divergences, un homme qui a rendu possible la démocratie après avoir été élu président de la République et, en ce sens, nous devons beaucoup à Patricio”, a déclaré l’actuelle présidente socialiste Michelle Bachelet. Patricio Aylwin avait assuré la transition démocratique après la chute du régime militaire mais Pinochet était resté commandant en chef des armées jusqu’en 1998.
Cependant, certains ont accusé Patricio Aylwin d’avoir privilégié la stabilité aux dépens d’un approfondissement des réformes politiques. On a pu lui reprocher de ne pas s’être plus fermement prononcé contre les violations des droits de l’homme commises sous son prédécesseur, le général Pinochet. Et d’avoir marqué la transition à la démocratie de son seau : “verdad y justicia en la medida de lo posible” (“vérité et justice dans la mesure du possible”).
Patricio Aylwin avait créé une Commission nationale de Vérité et de réconciliation, chargée d’enquêter sur les exécutions politiques et les disparitions de militants de gauche sous Pinochet. Toutefois, non seulement Pinochet est resté à la tête des forces armées pendant plusieurs années après avoir quitté ses fonctions présidentielles mais la Constitution, que le dictateur avait mise en œuvre, est restée en vigueur. De ce fait, il a fallu de nombreuses années après la transition démocratique pour que les auteurs présumés de crimes commis sous la dictature puissent être traduits devant la justice.
Sur cette phrase emblématique de la transition chilienne, Aylwin s’est aussi expliqué plus tard dans son livre de mémoires : “Beaucoup se demandent pourquoi nous avons accepté les entraves de la dictature et critiquent la forme trop ‘courtoise’ de ce processus de transition. Tout en étant d’accord avec la condamnation morale et historique que méritent de tels actes [de la dictature], j’invite mes compatriotes à regarder le revers de la médaille. (…) Aurions-nous dû, pour éviter ces limitations, exposer notre peuple au risque de nouvelles violences, souffrances et pertes des vies humaines ? (…) Notre choix a été de combattre l’autoritarisme et d’accepter les bénéfices et les coûts”.
“Sincèrement, je crois que la voie que nous avons choisie fut la meilleure des possibles. (…) Le Chili nous demande de conserver ce qui est bon, corriger ce qui est mauvais et améliorer ce qui est médiocre. C’est la seule méthode efficace pour avancer dans le noble et juste désir de rapprocher la réalité avec l’idéal. Quand ‘j’ai dit ‘vérité et justice dans la mesure du possible’, j’ai voulu être honnête. Dire justice pleine était dire quelque chose qui me semblait non-viable”, a raconté des années plus tard ce grand homme politique, opposant acharné de Salvador Allende et leader de la démocratie chrétienne qui souhaitait comme Lincoln réunifier la société chilienne. A-t-il eu raison de sa transition, une autre transition aurait-elle été possible, l’histoire le dira.
Olga BARRY