Stéphane Monclaire vient de disparaître à l’âge de 58 ans. Maître de conférences en science politique à l’Université de Paris 1, il était un spécialiste passionné du Brésil et l’un de ses meilleurs connaisseurs. Il n’a jamais pris le temps d’intriguer ou de publier suffisamment pour obtenir le titre de professeur. Il n’a même pas sacrifié au rite du grand livre sur le Brésil. Un immense regret pour nous tous.
“Tu sais, cela me rappelle cette fabuleuse expression de la constitution brésilienne, “État de droit démocratique”, c’est beaucoup mieux que notre “État de droit”, beaucoup plus juste”. Il n’y avait que Stéphane Monclaire, mort le 21 mars à Cuiaba, dans l’État du Mato Grosso, pour parvenir à s’émerveiller des richesses du texte fondateur du Brésil post-dictature, alors que le pays connaît une des pires crises de son histoire.
C’était il y a exactement un mois, sur skype, lui à Cuiaba, moi à Rio. Comme souvent, j’appelais celui qui est devenu mon ami, mais qui était surtout l’un des plus fins connaisseurs de la vie politique brésilienne, le meilleur en France. Ce jour là, je le titillais sur le rôle joué par le juge fédéral Sergio Moro, qui dirige l’investigation sur la corruption au sein de Petrobras, et fait trembler le Brésil depuis deux ans. En décidant de dépasser les limites de la loi, comme par exemple en envoyant des policiers chercher de force l’ex-président Lula pour un interrogatoire, le juge n’allait-il pas trop loin ?
“Sans doute, en bousculant Lula, Moro sort de l’État de droit, mais il donne à l’enquête une dimension plus forte, plus démonstrative ; au Brésil, il y a trop de personnes qui se servent de l’État pour s’enrichir ou accumuler le pouvoir, si l’enquête avance, cela peut changer, et faire avancer l’a démocratie, l’État de droit démocratique”, rétorque-t-il alors. Bien sûr, il y a cette “sélectivité déplaisante”, qui fait que Sergio Moro ne poursuit que les politiques liés à la présidente Dilma Rousseff, épargnant les leaders d’opposition, et notamment le sénateur Aécio Neves, pourtant cités à maintes reprises dans l’investigation. “Mais on peut espérer que cela va changer rapidement, et que Moro va également se retourner contre eux”, ajouta-t-il.
Stéphane Monclaire était optimiste, pour ce Brésil qu’il aimait tant. Mais pas seulement, car au bout du compte, la conjoncture, qu’il analysait si bien à la demande de journalistes, français ou brésiliens, ne l’intéressait que de façon secondaire. Ce qui le passionnait, c’était les glissements dans les institutions, la sociologie électorale. Comment le recrutement, la formation, les moyens financiers et les pressions de toutes sortes modelaient la corporation des juges. L’évolution des conseillers municipaux. Des professeurs d’école. Des étudiants détenteurs d’une bourse. Des députés d’assemblées locales…
Stéphane pouvait passer des heures à analyser un sondage, l’impact d’une allocation sociale sur un vote dans des villes de tailles moyennes. Le tout soigneusement documenté et chiffré, loin de cette “sciences –politique à la grand-papa” qu’il honnissait. Au point de ne jamais penser carrière. A 58 ans, Stéphane Monclaire était maître de conférences en Science Politique à l’Université de Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, où il a commencé à enseigner en 1984. Plus brillant que la majorité de ses pairs, il n’a jamais pris le temps d’intriguer ou de publier suffisamment pour obtenir le titre de professeur. Il n’a même pas sacrifié au rite du grand livre sur le Brésil. Un immense regret pour nous tous, tant cet ouvrage manque aujourd’hui.
Stéphane n’avait pas le temps, il devait compulsivement se plonger dans les livres et les articles scientifiques des autres. Organiser des colloques à Paris ou participer à des conférences aux quatre coins du Brésil. Méthodique, rigoureux, un peu fou, aussi, avec une lueur de gourmandise et de curiosité, une générosité et une disponibilité à l’égard de ses amis et collègues.
En le connaissant mieux, j’ai découvert que toute sa vie a été marquée de passions effrénées, dont il tirait le meilleur en étudiant avec rigueur, érudition, et même une certaine ascèse. Il en fut ainsi de la musique pop, de la musique classique, du cinéma – Gérard Courant lui a dédié un des portraits de son Cinématon, une série silencieuse consacrée à des personnages underground – de l’islam. Il en fut ainsi de l’amour, dont Stéphane pouvait parler des heures. Et de la Constitution brésilienne. Il l’a découverte par hasard, lors de vacances au Brésil, en pleins débats de l’assemblée constituante, et depuis a rassemblé autour d’elle ce qui doit être sans doute aujourd’hui la bibliothèque la plus riche après, peut-être, celle du Congrès. (…)
En parlant d’anniversaire, Stéphane devait fêter le sien ce 6 avril. Sa boulimie de travail, son incapacité à prendre des vacances et une actualité brésilienne insensée en auront décidé autrement, l’emportant d’un brutal AVC il y a deux semaines.
Stéphane, tu vas nous manquer.
Lamia OUALALOU