María Eva Duarte de Perón est emportée par un cancer, à l’âge de 33 ans, en juillet 1952. C’est alors que commence “la saga” qui est à l’origine du film de Pablo Agűero, Eva no duerme.
Michel Dulac dans Salsa Picante, le journal du festival Reflets de Villeurbanne a reconstitué les voyages de ce cadavre. Son corps est embaumé et exposé dans les locaux de la CGT (Confédération générale du Travail) jusqu’au coup d’état militaire de 1955 (surnommé “la révolution libératrice !”) qui chassera Juan Perón du pouvoir. Durant la nuit du 22 novembre 1955, suivant les dispositions du dictateur et très catholique Aramburu, le corps d’Evita est enlevé par un commando militaire sous les ordres du lieutenant-colonel Carlos de Moori Koenig.
La dépouille embaumée suivit alors un itinéraire macabre. Le cadavre est déposé à l’intérieur d’une camionnette et on l’y laisse pendant plusieurs mois, en garant le véhicule dans différentes rues de Buenos Aires, dans des dépôts de l’armée, et même au domicile d’un militaire. Le dictateur Aramburu confie alors au colonel Cabanillas la mission de l’ensevelir clandestinement. C’est le début de “l’opération transfert”. Avec le concours d’un prêtre, à qui incombe la responsabilité d’assurer la complicité de l’Église, le cadavre est transporté en secret à Gênes en Italie, à bord du navire Conte Biancamano, dans un cercueil dont on fait croire qu’il contient une femme nommée María Maggi de Magistris, puis enterré sous ce nom (tombe 41 du champ n° 86) dans le grand cimetière de Milan.
En 1970, l’organisation de guérilla “Montoneros” enlève, séquestre et élimine Aramburu, alors retiré de la politique, en réclamant entre autres la réapparition du corps d’Evita. En septembre 1971, le général Lanusse alors au pouvoir, voyant en la question du cadavre d’Evita un obstacle à la normalisation, ordonne de nouveau au colonel Cabanillas d’organiser “l’opération retour”. Le corps est exhumé de la tombe clandestine à Milan et restitué à Juan Perón, alors en exil à Madrid.
C’est finalement sa troisième épouse Isabel, devenue présidente qui, après la mort de son mari, décide de faire rapatrier le corps en Argentine. En 1976, la dictature militaire du Général Videla remet le corps à la famille Duarte et Evita est finalement enterrée dans la tombe familiale du cimetière de la Recoleta à Buenos Aires. Fin de cette rocambolesque histoire tandis que l’Argentine sombrait, quant à elle, dans la période la plus noire de son histoire.
Dans le film, nous ne verrons jamais Evita vivante, sauf dans les images d’actualité en compagnie de Juan Perón, qu’elle épouse en 1945. Elle devient très populaire grâce à sa fondation qui vient en aide aux déshérités, puis le centre d’un culte de la personnalité. Elle est alors la personne la plus aimée et la plus haïe d’Argentine.
Le film comprend un prologue interprété par Gael Garcia Bernal en amiral sanguinaire et comprend trois parties : l’embaumeur interprété par Imanol Arias, puis le voyage dans la camionnette conduite par un ancien militaire français interprété par Denis Lavant (allusion anachronique, en souvenir de l’importance des militaires français en Amérique latine, dit le réalisateur), enfin le Dictateur Aramburu, interprété par Daniel Fanego qui fut lui-même péroniste.
Le réalisateur Pablo Agüero, né en 1977, a grandi dans un village de Patagonie. Après des études à l’école de cinéma à Mendoza (Argentine), il se présente au festival de Toulouse dans la catégorie « Ciné en construction ». Aujourd’hui, il partage son temps entre l’Argentine et la France. “Comme je cherchais une forme d’honnêteté envers le spectateur, explique Pablo Agüero, j’ai essayé de différencier de façon très claire la fiction et les images d’archives. Depuis la mise en scène jusqu’à la postproduction, j’ai assumé une certaine théâtralité. Dans Eva ne dort pas, rien n’est tout à fait réaliste, comme pour nous rappeler qu’il n’y a pas de vérité unique.” Tout étant tourné en studio et en plans séquence, le travail sur la photographie, utilisant beaucoup le clair-obscur et la couleur est très travaillée. « J’espère que l’on ne réduira pas mon travail à une posture partisane, ajoute-t-il, et que l’on saura interpréter mon intention en profondeur. Ce n’est pas un film pour ou contre le péronisme, mais un film contre les dictatures, contre le capitalisme sauvage et pour la liberté et l’égalité de droits ».
Alain LIATARD