Quels rapports peut-il y avoir entre une jeune journaliste, fille d’un magistrat honorablement connu, qui travaille dans un magazine branché, et des gamins livrés à eux-mêmes dans une sordide banlieue où la seule évasion est le football ? Un article à écrire, évidemment. Le suicide d’un conducteur de trains de banlieue, apparemment parfaitement banal, intrigue Verónica, qui, prise par son sujet, va se lancer dans une enquête dont les développements la mèneront très loin.
Ainsi présenté, tout cela semble banal, la trame traditionnelle des enquêtes, policières ou journalistiques, et pourtant ce roman de l’Argentin Sergio Olguín est bien davantage qu’une simple histoire policière de plus. Journaliste lui-même, l’auteur nous fait découvrir pour commencer, l’élaboration d’un reportage sociétal de fond et les coulisses d’une rédaction. Le récit nous emmène comme prévu dans ces villas miserias (bidonvilles), qui portent si bien leur nom, pas seulement dans les rues, mais au cœur de plusieurs familles qui vivent tant bien que mal et que la journaliste découvre en même temps que nous. Peu à peu, les découvertes humaines prennent le pas sur le simple quotidien de ces gens et les personnes, les enfants en particulier, deviennent le véritable sujet de l’enquête. Victimes, ils le sont, mais jusqu’à quel point, de quelle façon ? Ce qu’avait pressenti Verónica est-il aussi horrible que ce qu’elle avait eu du mal à envisager ?
C’est bien la psychologie qui a avant tout intéressé Sergio Olguín. Bien sûr il y a les méchants, qui le sont vraiment, mais on les voit très peu. Ceux qui sont au premier plan, ce sont des hommes et des femmes, avec leurs qualités et leurs défauts, avec leurs incohérences. On pourra chercher, on ne trouvera pas le héros de ce roman, même si Verónica est appelée Power Princess (Superchica en espagnol) par les gamins du quartier, elle n’est pas forcément un modèle pour le lecteur.
Il est rare qu’un auteur de roman noir ou de polar donne autant à son lecteur. Bien plus qu’une simple enquête, il nous promène à travers des quartiers très contrastés de Buenos Aires, allant des bars à la mode dans le centre jusqu’à ces zones défavorisées. Il nous fait pénétrer dans la vie la plus intime des personnages et surtout il joue de façon très virtuose avec les points de vue. Une même scène nous est montrée deux fois, à quelques pages de distance, selon la vision de ses deux acteurs, éclaircissant ici une réaction qui avait pu nous sembler étrange et rajoutant là au mystère d’un comportement. Il arrive que ces changements brusques de points de vue soient une énorme surprise, un vrai choc qui devient un éclairage totalement différent sur la séquence qui vient de se dérouler.
Les corps souffrent ou jouissent, luttent contre toute sorte de violences ou s’y soumettent, n’étant que le reflet de toute une société qui, elle aussi, donne l’impression de céder avant de tenter de résister, sans être jamais sûre de gagner la partie.