L’acteur et réalisateur chilien Boris Quercia a fait ses débuts littéraires l’an dernier avec Les rues de Santiago. Il était l’invité de l’édition 2015 de Belles Latinas, au moment où les éditions Asphalte publient son deuxième roman, Tant de chiens dans sa traduction française, qui sortira dans sa version originale espagnole en 2017. Dans ce deuxième roman, il confirme qu’il faut désormais compter avec lui dans le genre roman noir, pourtant déjà bien fourni en Amérique latine.
“Quelle connerie d’être un homme et de vivre comme un chien !”. Cette remarque du narrateur résume parfaitement ce récit trépidant du début à la fin, avec, comme le suggère le titre (jolie trouvaille de la traductrice) la présence discrète mais permanente du canidé sous toutes ses formes, chien policier, chien de narco ou pauvre bête qui souffre autant que le moindre humain.
Ici, celui qui meurt au premier chapitre est Jiménez, un collègue de Santiago Quiñones, le flic dont nous avons fait la connaissance dans Les rues de Santiago, le premier roman de Boris Quercia paru l’an dernier. Les circonstances de sa mort sont claires, ce qui l’est beaucoup moins, c’est la personnalité de la victime. Les “affaires internes”, une espèce de Police des polices semblait s’intéresser à lui, en qui Santiago avait toute confiance. Cela suffit à notre “héros” pour essayer d’en savoir plus. Mais à qui se fier ? Ce point de vue original est passionnant : Santiago a le plus grand mal à savoir d’où vient le danger : de l’intérieur même de la police ou des voyous traditionnels ? Mais, si on parle de voyous traditionnels, pense-t-on aux petits délinquants, aux vendeurs de drogue, aux malfrats minables ou à des gens bien mieux placés dans la société, dont les loisirs ne sont pas forcément innocents ?
Au fur et à mesure que l’enquête avance, le mystère s’épaissit : on fait face à des zones d’ombre de plus en plus opaques, et Santiago est aussi perdu que nous, qui le suivons amicalement. Car on peut sentir une véritable amitié pour ce personnage qui a ses propres problèmes personnels, qui lutte contre lui-même (son penchant pour l’alcool et la drogue finissent par émouvoir !), et surtout qui considère les autres, non pas comme des numéros ou des ombres anonymes, mais comme des personnes.
Les différents fils de l’histoire partent dans plusieurs directions, s’écartent les uns des autres, semblent se rapprocher, s’enroulent, se tissent de façon magistrale. Chaque personnage, même le plus secondaire, a son rôle à jouer, rien n’est inutile et le rythme ne ralentit jamais. Boris Quercia est décidément très habile : l’histoire avance à grands pas, avec ce qu’il faut de fausses pistes, de zones d’ombre qui resurgissent sans livrer leur mystère, les personnages sont à la fois familiers et troubles. Et surtout il y a le style de Boris Quercia qui, en deux romans, réussit à s’imposer comme un auteur majeur de roman noir : une apparente sécheresse, avec des phrases courtes au présent, qui cache un mélange d’humour désabusé, de scepticisme et de lucidité.
Christian ROINAT
Tant de chiens, de Boris Quercia, traduit de l’espagnol (Chili) par Isabel Siklodi, éd. Asphalte, 204 p., 21 €. SITE
Les rues de Santiago, de Boris Quercia, traduit de l’espagnol (Chili) par Baptiste Chardon, éd. Asphalte, 2014, 15 €. SITE
En espagnol : Perro muerto, de Boris Quercia, ed. Mondadori, Santiago, 2017 / Santiago Quiñones, tira, ed. Mondadori, Santiago, 2010.
Après son passage au festival Belles Latinas, Boris Quercia sera présent à Paris pour deux rencontres : le jeudi 26 novembre à 18 h 30 à la librairie Voyageurs du Monde puis le vendredi 4 décembre à 17 h à la librairie Gibert Joseph. Retrouvez toutes les informations sur le site des éditions Asphalte.