France-Amérique latine organisait lundi 9 novembre, dans le cadre de ses conférences, une table-ronde présentée par Pierre-Jean Vandoorne autour de l’évolution du climat en Amérique latine et de ses impacts sur les stratégies des énergéticiens, à l’aune de la 21e Conférence des parties de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) dans la capitale française, très attendue et à portée hautement symbolique (même si c’est un rendez-vous annuel).
Les interlocuteurs présents étaient Jean-Joinville Vacher, directeur de recherche à l’IRD (Institut de recherche pour le développement), Carlos Ortiz, de la Direction internationale Amérique latine d’ENGIE (anciennement GDF-Suez), Jérôme Boutang, Directeur général du CITEPA (Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique) et Camille Laurens de l’AFD (Agence française de développement).
Jean-Joiville Vacher a tout d’abord paré des synthèses, qui tous les quatre ans sont réalisées par quelques 600 scientifiques et a évoqué un rapport spécial consacré à l’Amérique centrale et du sud, auquel des Français ont contribué. Globalement, il s’en dégage une hausse des températures en Amérique latine, une hausse des précipitations dans le sud-est, ainsi qu’une dégradation des forêts, des terres et de la biodiversité. Également, un refroidissement sur une distance d’environ 1 000 km sur la côte chilienne est estimé. En Amérique latine, selon M. Vacher, les mécanismes sont assez complexes alors que l’on est confronté à une absence de mesure. Parmi les scénarios possibles, soit des actions sont mises en œuvre (RCP 2.6, qui intègre les effets de politiques de réduction des émissions susceptibles de limiter le réchauffement planétaire à 2°C, les Representative Concentration Pathway étant des scénarios de référence de l’évolution du forçage radiatif sur la période 2006-2300), soit il faudra s’attendre à 6 à 7 °C supplémentaires.
Certains phénomènes restent irréversibles, tel que la disparition du glacier Chacaltaya en Bolivie, entre 1940 et 2010. Cette disparition est fâcheuse car elle entraîne des pénuries d’eau potable pour La Paz et d’eau pour l’alimentation des barrages. Quant à la quinzaine de glaciers tropicaux sur la côte andine, ils sont en net recul depuis la période 1976-1980 (des études sont faites à partir de carottes de glaces, échantillons de glace retirés de calottes glaciaires et sur des stalagmites). À cela, il faut rajouter le phénomène El Niño, tandis qu’en Amazonie on observe des phénomènes de sécheresse, des feux… Depuis les années 70, on note une recrudescence de sécheresses parallèlement à un recul des précipitations depuis 20 ans. Enfin, le directeur de recherche à l’IRD nous invite à considérer l’initiative tripartite entre la France, le Pérou et le Mexique.
M. Ortiz, lui, évoque les INDCs en Amérique latine, notamment au Mexique, au Pérou, au Chili et au Brésil. L’acronyme “INDC” désigne les contributions décidées au niveau national qui ont été remises par les parties en amont de la conférence Paris 2015 (COP21) qui aura lieu du 30 novembre au 11 décembre. Concernant les émissions de gaz à effet de serre (GES), le Brésil est le seul pays en voie de développement avec une cible absolue. Le Chili a diminué ses émissions de GES en terme d’intensité du PIB et s’est engagé à les diminuer de 30 % d’ici à 2030. Avec à l’horizon de 2050, une énergie abordable et renouvelable. Le Mexique, quant à lui, s’est engagé à baisser inconditionnellement de 25 % ses émissions de GES et le Pérou de 20 %. Ce qui amène M. Ortiz à conclure que les INDCs inconditionnels sont ambitieux pour ces 4 pays, qui ont par ailleurs une attitude positive face au marché carbone et dont ENGIE est partenaire. Quant à ENGIE, elle stoppe tout nouveau projet charbon.
Jérôme Boutang rappelle le caractère associatif et non lucratif de l’association (CITEPA) dédiée aux études air/climat, avant d’évoquer les deux actions parallèles qui sous-tendent la COP21 : la collaboration franco-chinoise et le groupe d’experts francophones. Il insiste sur le fait que le CO2 n’est pas le GES le plus important. Il évoque le Brésil qui est le seul pays à avoir fourni un objectif de diminution relatif par rapport à une année de référence, même s’il émet incomparablement plus de GES que les autres pays d’Amérique latine. Il souligne aussi que les ambitions et les années de référence varient de pays à pays. Sur 196 pays, 156 ont fourni en octobre leur contributions nationales et en Amérique latine, seul le Venezuela n’a rien livré. En Amérique latine, les émissions de GES atteignent presque 11 % en 2012 contre 8,8 % en 1990. Comparés aux États-Unis et à la Chine qui à eux seuls émettent 23,3 % des GES en 2012.
Pourtant, selon lui, les rapports du Brésil et du Mexique, par exemple, sont loin d’être conséquents et seraient le signe d’une conditionnalité à l’aide internationale. Pour l’Argentine, cela reste très flou et semble davantage être un plaidoyer pour le péronisme où est pointée la vulnérabilité du pays et l’importance de l’avancée par les lois au sein de cette nation. Concernant le Mexique, il note une focalisation sur le “Carbono Negro” avec une volonté de diminuer de 51 % ses émissions pour améliorer la qualité de l’air. Avec un bémol car il reste à prouver que cela influe sur la lutte contre le changement climatique. Pour lui, l’avenir des INDC en Amérique latine reste lié à un effort d’atténuation internationale plus ambitieux, aux volontés nationales respectives, à l’importance d’un point de référence fixe dans le passé (et non pas à des scénarios), à l’inconditionnalité, à la comparabilité et aux perspectives immenses des entreprises dès que sont mobilisés des fonds internationaux.
Camille Laurens, pour finir, rappelle les actions de l’AFD depuis 70 ans, mandatée pour lutter contre la pauvreté avec notamment des prêts aux conditions de marché en Amérique latine. Bénéficiant de fonds publics et privés, l’AFD a consacré 2,5 milliards d’euros l’an passé pour le climat, dont la moitié en Amérique latine alors que cette partie du monde ne représente que 15 % de son action. Celle-ci s’est portée sur le Brésil depuis 2007, puis au Pérou, en Bolivie… depuis 2013. Pour l’AFD, l’enjeu est de promouvoir une croissance verte et solidaire avec la notion de ville durable car plus des ¾ de la population en Amérique latine est citadine. C’est pourquoi l’AFD finance des projets de transports dans les collectivités locales. Tel le métro-câble et le tramway à Medellín. Elle appuie aussi des stratégies de diminution de GES dans les villes, comme le financement de l’inventaire carbone. Enfin, elle incite à une gestion durable des ressources naturelles et des écosystèmes et à un effort énergétique envers des énergies renouvelables.
En somme, des actions et des perspectives plutôt encourageantes selon l’ensemble des interlocuteurs et l’on espère que la mobilisation et les budgets internationaux seront toujours plus conséquent pour ces priorités environnementales et qu’en revanche, les coûts de la COP21 à Paris ne seront pas trop élevés (1) !
Brigitte BERGANTON