Un théâtre résolument politique occupe le devant de la scène pour la rentrée théâtrale 2015. Ce théâtre, certes lyonnais, sera également sous le signe de l’ouverture à une Amérique latine conjuguée au passé comme au présent. Voici un aperçu de la programmation de deux scènes théâtrales de la ville de la soie, le NTH8 et le festival Sens Interdits.
Au NTH8, une saison bilingue et bien plus. Avec la complicité de l’Institut Cervantes et d’autres acteurs culturels latinos de la sphère lyonnaise, la programmation du Nouveau Théâtre du Huitième (8ème arrondissement) s’annonce hispano-française : le Chili, le Mexique, l’Espagne et la France s’allieront pour faire découvrir au public français les subtilités langagières version latinos. Entre poésie, lecture de textes, ateliers, débats et représentations, chaque événement sera bilingue. Le continent sud-américain sera plus particulièrement en première ligne avec la venue du célèbre poète chilien Raúl Zurita et de la jeune, mais néanmoins engagée, troupe de Santiago du Chili Teatro Público. Une programmation bilingue mais pas que. Quoi de mieux que le medium théâtral pour découvrir, réfléchir ou se confronter ensemble à notre monde contemporain, d’autant plus quand on nous offre les points de vue et les visions d’artistes venus d’ailleurs ? Le caractère représentationnel du théâtre permet au spectateur de créer une distance avec l’histoire contée, une occasion rêvée pour prendre du recul, aiguiser son sens critique et nourrir ses réflexions autour des thématiques jouées.
Le NTH8 nous promet ainsi de riches débats et échanges d’idées : à la mi-octobre, le Teatro Público et ses pairs français seront conviés à un débat sur le théâtre et le féminisme. Patricia Artes, metteure en scène de la création Otras, sur la place du féminin dans les sociétés patriarcales, dialoguera avec Lorraine Wiss, chercheuse lyonnaise sur le féminisme dans le théâtre contemporain, Espaces Latinos, et le dramaturge lyonnais et collaborateur de Teatro Público, Samuel Gallet. Deuxième événement marquant : la représentation théâtrale La faim et les rêves / El hambre y los sueños, une co-création de Teatro Público et du collectif lyonnais Comité 8.1. Fruit d’un travail de trois semaines lors d’une résidence artistique à l’École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre (ENSATT), les jeunes artistes n’ont pas chômé. En questionnant les représentations des uns et des autres sur le continent-mère qu’ils veulent quitter et le continent rêvé qu’ils souhaitent rejoindre, entre Europe et Amérique Latine, c’est bien la thématique d’une identité plurielle et changeante qu’ils évoquent. À travers une mise en scène rhapsodique, Teatro Público et le Comité 8.1 rejouent les grands mouvements de contestation politique d’ici et d’ailleurs, les représentations que l’on s’en fait, nos imaginaires et nos désirs de l’Autre, mais également nos utopies. Un théâtre politique qui, comme le veut son genre, réfléchit aux affaires de nos cités déboussolées, entre inertie et vitesse décuplée. Ici aussi, le public sera invité à prendre la parole autour des enjeux du théâtre politique au Chili lors des débats post-représentations en présence de l’équipe artistique, de l’équipe des Belles Latinas et de Franck Gaudichaud, historien spécialiste des civilisations latino-américaines.
Des résistances, mémoires et identités bravant et abreuvant les Sens Interdits
Pour sa quatrième édition, le festival Sens Interdits promet de belles heures théâtrales. Aux Célestins et dans une multitude d’autres théâtres lyonnais, l’édition 2015 se trame progressivement et invite déjà le public à réserver son siège pour venir écouter des artistes des quatre coins du globe qui, eux aussi, ont une histoire à raconter. Et pas n’importe quelle histoire… Des histoires mêlant l’intime au politique, contant avec humour et tendresse, parfois avec colère et dérision, les maux du monde contemporain. En 2009, Sens Interdits démarrait avec neuf spectacles. La programmation 2015 nous en propose quinze. Quinze spectacles venus d’ailleurs, jamais joués en Rhône-Alpes, mais toujours éminemment politiques. SPEAK!, pièce néerlandaise, met en scène deux personnages qui relisent les discours ayant marqué l’histoire politique, sans révéler qui en est l’auteur. Au public d’élire son représentant. De Kennedy à Saddam Hussein, cette création souligne le pouvoir des mots bien agencés et nous invite à réfléchir sur cette crise de la représentativité que le monde traverse. Dans Hate Radio (Rwanda/Suisse), des survivants du génocide rwandais se prêtent au jeu d’animateur radio diffusant des messages haineux, invitant au meurtre et au génocide. Plus légèrement, la troupe italienne Codice Ivan pose la question de la poursuite du bonheur dans la pièce What the hell is happiness ? À quoi sommes-nous prêts pour l’obtenir ?
Ici aussi, l’Amérique latine est bien présente avec deux pièces chiliennes et une pièce argentine. Yo maté a Pinochet / J’ai tué Pinochet nous parle d’un ancien révolutionnaire qui prétend avoir tué l’ex-dictateur. À travers son histoire, le public revisite l’histoire du Chili tout entier. Acceso / L’accès (photo), pour sa part, met en scène un vendeur ambulant qui doit vendre et s’exposer pour survivre et espérer accéder à une existence digne de ce nom, une existence où il aura un rôle, un statut, et surtout une reconnaissance sociale.
Élisa JUSZCZAK