Parler de la vie, de l’amour, de la mort, imaginer une aventure spirituelle au cœur du quotidien, partager la culture avec le repassage et la préparation de recettes inédites, raconter tout cela sur un ton qui ne soit ni mélodramatique, ni vulgaire, tel est le défi qu’a dû s’imposer la Brésilienne Vanessa Barbara pour son premier roman. Et ce pari est réussi. Elle nous offre beaucoup de sourires, de l’émotion et des idées. Peut-on demander plus ?
Ada vient de mourir après un bon demi-siècle d’une union avec Otto qui se retrouve seul et désemparé dans la grande maison jaune. Désemparé et encore plus grognon qu’avant. Il est comme ça, Otto. Mais il faut bien continuer, alors il observe ce qui l’entoure et surtout ceux qui l’entourent, et il découvre qu’il est entouré par des fêlés farfelus et sympathiques. Comment garder son armure, c’est-à-dire rester acariâtre dans ces conditions ? Tout énerve Otto, mais le problème, c’est que ce qui énerve Otto est, pour tous les autres, le lecteur en tête, une source inépuisable de situations comiques : le facteur qui fait sa tournée en hurlant des airs d’opéra (à deux voix s’il vous plaît !) seulement interrompus par le mot “Courrier” crié quand il livre une lettre, généralement destinée à un tiers.
Mais ces loufoqueries n’empêchent pas les moments de profonde émotion. Dans l’esprit d’Otto, tout dans le fond ramène le souvenir d’Ada, elle aussi légèrement hors normes, à la fois responsable et irresponsable, remplie de fantaisie et de sagesse, et qui a su rester présente après sa mort. On a là probablement le roman le plus tonique et tonifiant sur le deuil qui ait été écrit depuis longtemps.
On sort parfois du politiquement correct et c’est tant mieux. On rit franchement de la bancale épopée de ce sergent japonais réfugié dans la jungle quelque part aux Philippines prêt à tout, à la tête de son régiment de quatre hommes, pour défendre, jusqu’aux années 70, l’honneur de Hirohito qu’il croit encore au pouvoir. Chagrin et légèreté, le récit oscille en permanence entre des pôles opposés, c’est ce fragile équilibre, parfaitement maîtrisé malgré une petite baisse de régime dans la deuxième moitié, qui donne ce charme irrésistible et inimitable des Nuits de laitue, ladite laitue étant d’ailleurs successivement source de santé et brouet infâme : fragile équilibre vraiment ! Ce premier roman restera comme un mélange bienvenu de fantaisie débridée, de tendresse et de profondeur.
Christian ROINAT