Une des marques de fabrique d’Horacio Castellanos Moya, c’est, outre la qualité de ce qu’il écrit, un humour piquant qui contraste allègrement avec la noirceur de ce qu’il décrit. Élevé entre le Honduras et le Salvador à une époque où régnaient l’instabilité politique (c’est peu dire) et les répressions venant de tous côtés, il a choisi le rire franc mais amer pour faire partager son rêve de lieux pacifiés où enfin on pourrait vivre. Dans son nouveau roman, qui se situe au Mexique mais qui ne parle presque que du Salvador il reprend cette façon de voir qu’il maîtrise si bien.
Erasmo Aragón est le narrateur (envahissant) de cette histoire immobile où il ne parle que de lui. Il pourrait être horripilant, avec ses tares multiples, à commencer par son incorrigible égocentrisme. Mais l’auteur est bien Horacio Castellanos Moya et il est capable, lui, de faire ressortir l’humanité de son pauvre “héros” détruit par ce qu’a été son existence. Journaliste salvadorien, il a dû s’exiler à Mexico et, au moment où la situation dans son pays a des chances de retrouver une certaine normalité (on est au tout début des années 90), il souhaite retourner dans son pays pour être un des premiers à créer une nouvelle forme de journalisme sur place. Ses problèmes personnels le freinent, notamment son hypocondrie dévorante, et il décide de consulter un bien curieux médecin qui exerce dans son salon, ne fait pas payer ses soins et qui décide de le traiter par hypnose.
À partir de là tout dérape : qu’a-t-il pu raconter pendant la séance ? Est-il encore maître de sa destinée ? S’est-il vraiment mis en danger, ou s’imagine-t-il que tout le monde complote autour de lui ? Le délire constant d’Erasmo, l’abus perpétuel d’alcool et les conséquences des multiples cuites, sa jalousie, en partie justifiée (en partie seulement car il ne s’est pas privé lui-même de tromper sa compagne), tout cela constitue le premier plan de ce roman, dont la réalité est plus profonde : ce rêve de retour du titre, c’est bien sûr le retour vers le pays d’origine, mais c’est aussi et surtout, le retour à la pureté de l’enfance, à celle de l’homme qu’a dû être un jour Erasmo dont on ne connaît que ce présent chaotique mais dont Horacio Castellanos Moya suggère très subtilement qu’il est aussi un homme brisé par une Histoire qui n’aurait pas dû exister.
Christian ROINAT
Le rêve du retour, de Horacio Castellanos Moya, traduit de l’espagnol (El Salvador) par René Solis, éd. Métailié, 160 p., 17 €. Horacio Castellanos Moya en espagnol : toutes les œuvres sont publiées chez Tusquets.
Horacio Castellanos Moya en français : Le dégoût Thomas Bernhard à San Salvador / La mort d’Olga María / L’homme en armes / Le bal des vipères / Là où vous ne serez pas / Déraison / La servante et le catcheur, Coll. 10/18.