Mercredi 3 juin, des centaines de milliers de personnes ont manifesté sur la Plaza de Mayo à Buenos Aires pour dénoncer les meurtres de femmes, accompagné du slogan #Niunamenos (“pas une de moins”). Des manifestations ont aussi eu lieu à Santiago de Chili, au Mexique et en Uruguay, exprimant un changement culturel significatif, celui d’un refus de la violence envers les femmes, qui se manifeste non seulement de manière physique, mais aussi symbolique.
“Féminicide, jusqu’à ce que la mort nous sépare”, pouvait-on lire sur un panneau porté par un groupe de comédien-nes venant d’accomplir une performance spectaculaire sur le thème des violences de genre, à la tombée de la nuit, sur la plaza de Mayo. Trois meurtres ont récemment secoué la société argentine : celui d’une institutrice de maternelle égorgée par son ex-mari devant ses élèves ; celui d’une femme, assise à une terrasse de café, soudainement criblée de balles par un ex-compagnon éconduit ; enfin, celui d’une adolescente de 14 ans enceinte, tuée avant d’être enterrée par son ex petit ami et les proches de celui-ci dans le jardin de sa maison. C’est ce dernier crime qui a fait déborder le vase, notamment parce que cette jeune fille était issue de bonne famille. Un crime parmi tant d’autres : en Argentine, selon le journal Clarín, de 2008 à 2014, 1808 femmes ont été assassinées. Mais l’affaire de Chiara Páez, ayant annoncé à son petit ami qu’elle refusait d’avorter, a montré l’ampleur du phénomène et a poussé plus de 150 000 personnes à manifester mercredi dernier. De nombreuses personnalités étaient présentes ou ont manifesté leur soutien : Le footballeur Lionel Messi, la présidente Cristina Fernandez de Kirchner ou encore Mauricio Macri, l’actuel maire de Buenos Aires. Ce dernier avait provoqué un tollé l’an passé en déclarant à la radio: “toutes les femmes aiment entendre des remarques dans la rue. Celles qui disent que non je ne les crois pas. Il n’y a rien de plus beau, même si c’est accompagné d’une grossièreté, que quelqu’un qui te dit que tu as un joli cul, non ?”
Les élections argentines approchant, le machisme ordinaire assumé ne semble plus de mise, suite à une prise de conscience générale de la situation inégalitaire très forte qui existe entre les hommes et les femmes, en Argentine et en Amérique latine en général. “Nous savons que ce continent est très machiste, mais nous pensons que de bonnes politiques publiques peuvent changer les choses, explique Fabiana Tuñez, de l’ONG Casa Encuentro luttant contre les violences de genre. En Espagne par exemple, il existe un ministère de l’égalité, ce qui n’est pas le cas ici.” Le quotidien espagnol El Pais a comparé la situation des deux pays, qui a une population similaire (46 millions pour l’Argentine, 43 pour l’Espagne) : 51 féminicides pour la péninsule ibérique contre 277 en Argentine l’année passée. L’absence de statistiques officielles ne facilite pas la mise en place de politiques publiques visant l’égalité de genre. Mais l’inscription du féminicide dans le code pénal de 15 pays de ce continent, comme circonstance aggravante de l’homicide, est un pas en avant. Il désigne un crime dont le mobile est le sexe féminin de la victime. Le concept de féminicide est apparu en 2008 après l’assassinat de centaines de femmes à Ciudad Juarez au Mexique. Corps défigurés, violés : le mobile des crimes était expressément lié au sexe de la victime. En France, le terme n’est toujours pas inscrit dans la loi. Il a fait son apparition dans le dictionnaire du petit Robert en 2014, mais peine à s’imposer comme un fait social sexo-spécifique. Le père d’une des deux jeunes femmes assassinées à Salta (dans le nord de l’Argentine) milite pour qu’il soit inscrit dans le code pénal français.
La mobilisation “Pas une de moins” ressemble à “Nous sommes tous Charlie” en France. Nombreux étaient les slogans en référence à la tragédie de janvier, adaptés à la situation des femmes – et des minorités sexuelles victimes de violence-. Reste à savoir si ce phénomène va la mobilisation historique du 3 juin, il y a déjà eu deux nouveaux meurtres de femmes.
Laurène LE GALL