Le président Otto Pérez Molina a dû démettre plusieurs ministres accusés de corruption provoquant une crise politique majeure. Des manifestations populaires massives exigent sa démission.
Le Guatemala a toujours été considéré comme un pays aux autorités corrompues. La nouveauté : des juges guatémaltèques ont dénoncé la corruption de ministres proches du président qui a bien dû demander leur démission. Depuis huit ans, la justice guatémaltèque bénéficie de l’appui de la CICIG, Commission internationale contre l’impunité au Guatemala, une agence dépendant des Nations unies qui s’efforce de combattre les structures illégales incrustées dans l’État et la corruption rampante dans le système judiciaire. Cela a permis qu’un secteur ‘propre’ de la justice ait fait montre de courage en s’attaquant aux plus hautes personnalités de l’État corrompu.
La chute de Roxana Baldetti
En avril dernier, Juan Carlos Monzón, le secrétaire privé de la vice-présidente de la République, Roxana Baldetti, est accusé d’être à la tête de La Línea, un réseau de fraude fiscale via les douanes. Les deux personnalités auraient ainsi détourné 325 000 dollars par semaine ! L’affaire s’aggrave lorsqu’une enquête démonte “le cabinet de l’impunité ”, un cabinet d’avocats qui travaillait main dans la main avec 18 juges connus comme ‘disponibles à l’achat’ et qui rendaient des verdicts systématiquement favorables aux groupes du crime organisé. La justice arrête deux responsables du réseau et trois avocats. Dans le dossier La Línea, la juge corrompue est Marta González de Stalling ; maintenant dans le viseur du Ministère public et de la CICIG, elle devrait bientôt être mise en examen. Le président doit aussi demander sa démission à Verónica Taracena, directrice de la Commission présidentielle pour la transparence, nommée à ce poste par Baldetti. C’en est trop pour la population. Écœurées par la corruption, plusieurs milliers de personnes descendent dans la rue en avril et réclament la démission du gouvernement. Le président Pérez Molina est obligé d’exiger la démission de sa vice-présidente.
Hécatombe de ministres
L’affaire prend une tournure plus grave lorsque la CICIG et le Ministère public font de nouvelles révélations qui touchent plusieurs ministres. Un à un, ils tombent. D’abord ce fut le Ministro de Gobernación, Mauricio López Bonilla, l’équivalent du ministre de l’Intérieur. Très proche du président (il fut son chef de campagne lors des dernières élections présidentielles), il est accusé de contrats frauduleux liés à l’installation de caméras de sécurité. Il doit démissionner. C’est ensuite le tour de Michelle Martínez, ministre de l’Environnement, liée à un contrat frauduleux de plusieurs millions avec l’entreprise israélienne Tarcic Engineering devant asperger le lac Amatitlán d’un produit sensé le nettoyer, entraînant dans sa chute Erick Archila, le ministre de l’Énergie et des Mines. Finalement, une enquête révèle un réseau de corruption impliquant plusieurs hauts fonctionnaires parmi lesquels Juan de Dios Rodríguez, directeur de l’Institut guatémaltèque de sécurité sociale (IGSS) et Julio Suárez, directeur de la Banque du Guatemala (Banguat). Rodríguez, un ancien militaire tout comme Pérez Molina, est un homme de confiance du président dont il fut le secrétaire privé avant d’être nommé par lui à la tête de l’IGSS en avril 2013 pour… lutter contre la corruption dans cette institution ! Les deux directeurs avaient approuvé un contrat avec une entreprise mexicaine devant fournir des traitements spéciaux à des malades gravement atteints aux reins. La mauvaise qualité des médicaments et des services avaient provoqué la mort de 17 patients. Ils auraient également participé à une fraude pour 14,5 millions de dollars en faveur de l’entreprise pharmaceutique Pisa (1).
Une manifestation monstre
Le samedi 16 mai, plus de 40 000 personnes se rassemblent sur la Place de la Constitution, devant le Palais présidentiel et la cathédrale. On n’avait plus vu cela depuis 1963 lorsque les manifestations populaires avaient fait tomber le général Ydigoras. Ce rassemblement exceptionnel s’est réalisé à travers les réseaux sociaux et à l’appel de mouvements sociaux, populaires, étudiants, sportifs, religieux, indiens, paysans, etc. Pas de partis politiques à l’appel… Indignés par la corruption des proches du président Pérez Molina, les manifestants exigent sa démission. Celui-ci nie sa participation à ce maillage de corruption et clame qu’il a été trahi par ses subalternes…
Le G4 appelle à une coalition citoyenne
Le Grupo de los Cuatro (G4), composé des services du Procureur des droits humains, de l’Université San Carlos (publique), de la Conférence épiscopale et de l’Alliance évangélique, appelle à la création d’une coalition citoyenne face à ce qu’elle décrit comme “la crise de légitimité de l’État”. Cette coalition “doit intégrer le Guatemala urbain indigné par la corruption galopante… avec le Guatemala rural et marginalisé qui a toujours vécu en crise”. L’objectif final est “l’édification d’un État qui protège ses habitats et recherche le bien commun. Le G4 souhaite que les citoyens exercent de manière responsable, prudente et sensée, ses droits légitimes de manifestation…” (2) Appel entendu par le CUC, Comité de Unidad Campesina (Comité d’unité paysanne), une organisation historique de défense des paysans pauvres (3). Pour son dirigeant Daniel Pascual, “Les peuples mayas et incas sont présents car les plus affectés par ces vols sont les pauvres et les Indiens. Nous devons nous unir avec les gens de la capitale parce que le pays a besoin de changement…”
Ce changement interviendra-t-il avec les prochaines élections en septembre 2015 ? Les candidats seront-ils plus à l’écoute des demandes populaires ? En tous cas, les gens sont prêts à redescendre dans la rue, et cela c’est une grande nouveauté dans un pays où la répression des mouvements sociaux, indiens, syndicaux ou étudiants a toujours été féroce.
Jac FORTON