À notre époque où on ne croit généralement plus à grand-chose, elle est réconfortante, cette figure de “saint” laïc qui, en butte aux moqueries, aux mesquineries, à la méchanceté de la rue, suit son chemin, modeste et indifférent ! Jordi Soler, qui nous l’a déjà montré à plusieurs reprises, présente avec son nouveau roman, Restos humanos, quelques personnages décalés, en marge de la société, jusqu’au moment où…
Empédocles mène sa petite vie dans les rues d’une ville anonyme, portant secours à qui le lui demande, laissant les samedis et les dimanches le champ libre au curé (pas question de concurrence, de rivalité). Il ne se prend pas pour le Christ : lui-même fils de prêtre catholique, il ne tient pas à ce qu’on le compare avec un ministre du Vatican : il est un vrai individualiste tourné vers les autres et démontre par ses actions que ces deux notions ne sont pas incompatibles.
Le point faible du “saint”, c’est son frère, deuxième rejeton de feu le curé. Il jouit d’une haute position, à la mairie du lieu et en voudrait encore plus, ce qui n’est pas rare chez ses semblables. Et quand une mafia russe entre dans la danse, la situation de chacun s’améliore ou se dégrade, selon le point de vue.
De la fantaisie dans un décor hyper réaliste, de la réalité sociale et politique dans un monde de fantaisie, chacun peut lui aussi adopter son propre point de vue. Tout défile sous les yeux d’un Empédocles vêtu d’une tunique à longs pans blancs, chaussé de sandales à lanières de cuir : politique locale truquée, corruption, trafics en tout genre, sexe tarifé et la rencontre de ces deux mondes est plutôt surprenante. On est parfois très proches des idées d’Edgar Morin, mais appliquées au niveau du marché couvert du quartier où vit le prophète.
Jordi Soler fait de son lecteur un témoin amusé d’épisodes qui flirtent avec l’absurde. À l’arrivée, il n’y aura aucune révolution morale ou sociétale, simplement un constat doux-amer, on gardera le souvenir d’une folie un peu trop sage !
Christian ROINAT