D’où vient le charme des enquêtes du commissaire Espinosa ? De la personnalité du policier, des décors, qui nous sont familiers, même si on n’a jamais mis les pieds à Rio de Janeiro, des victimes et des coupables qui nous ressemblent tous un peu ? Il en est à sa sixième et on a toujours envie de suivre Espinosa, de le voir vivre, de voir vivre les gens de Rio. Pour tout savoir il faudra lire l’œuvre immense de l’écrivain brésilien Luiz Alfredo Garcia Roza dont sont dernier livre en français vient de paraître aux éditions Actes Sud.
Tout commence avec la découverte une nuit d’orage du corps d’un sans abri unijambiste au fond d’une impasse. Dans une ville comme Rio, ce n’est qu’une mort violente de plus, mais le commissaire Espinosa est intrigué par l’absence de mobile, d’indices, aussi par l’absence de l’arme du crime. Même l’identité de la victime est inconnue. Cela est suffisant pour qu’il se lance avec ses adjoints dans une enquête qui assez rapidement va le mettre en rapport avec Aldo et Camila, une famille banale de gens aisés, heureux dans leur vie privée et professionnelle. En s’intéressant à eux, qui sont à peu près les seuls témoins, si l’on peut dire puisque personne n’a rien vu, il découvre une réalité différente de ce qu’il attendait.
Tout se passe en douceur : l’enquête avance avec quelques jolies surprises mais sans à-coups, à l’image de la vie privée du commissaire, un peu banale, simplement pimentée par de bons moments avec son amie Irene. On est loin des coups de théâtre spectaculaires si fréquents dans le polar moderne. Mais ce que notre récit perd (peut-être) en “action”, il le regagne largement en vérité : Espinosa n’est pas un super flic, ni un dépressif au bord de l’alcoolisme, non, il est un policier qui fait son métier tout en ayant une existence acceptable et les surprises dans le développement de l’enquête sont relativement rares, et elles n’en prennent que plus de relief.
À une époque qui produit nombre d’excellents polars dans lesquels la violence sauvage est souvent mise en avant, les enquêtes de Garcia-Roza sont un peu à la marge, et c’est tant mieux ! Bien sûr, il y a des cadavres, mais l’auteur, qui a été avant d’écrire philosophe et psychologue, glisse de façon très subtile beaucoup d’idées, sur l’ascension sociale, sur les traumatismes de l’enfance, sur les rapports de couple, des idées qui nous concernent tous dans notre vie quotidienne et qui rendent la lecture d’autant plus prenante.
Christian ROINAT