Le Chilien Ángel Parra (né en 1943), le fils de la folkloriste Violeta Parra, véritable icône de la culture chilienne, bien que davantage connu comme chanteur et compositeur, est également écrivain. Dans Bienvenue au paradis, son quatrième roman, il aborde les thèmes classiques de l’exil et du retour, mais il les décline d’une manière inattendue. Jamais de pathos mais de l’ironie (comme l’annonce le titre), de la dérision, voire du grotesque, même si, constamment, le lecteur perçoit en filigrane le poids des séquelles laissées par la dictature.
Après trente ans d’absence, Andrés Fuentenegra (le narrateur), écrivain, la soixantaine, revient au Chili, mais ce retour, il ne l’a pas décidé. C’est Madeleine, sa compagne qui lui a offert son billet d’avion tout en lui signifiant froidement leur rupture. Elle le quitte pour un joueur de bandonéon, virtuose du tango. C’est sans appel. Andrés s’exécute. Quelques jours plus tard, il débarque à l’aéroport international Arturo-Merino-Benítez qui ne porte pas, comme il l’aurait souhaité, le nom de Pablo Neruda.
À Santiago, Andrés est bien attendu chez sa tante Ernestina autour d’un asado pantagruélique, grillade copieusement arrosé de vin et de pisco sour mais il sent comme un malaise sournois, fait de passé refoulé et de soupçons inavoués planer sur ces retrouvailles qui se veulent joyeuses. Tous les cousins sont là, sympathiques ou inquiétants. Se côtoient des représentants des deux bords capables encore de s’affronter violemment. La famille d’Andrés, un microcosme de la nouvelle société chilienne ?
Le Chili qu’Andrés a quitté, celui qu’il garde en mémoire est celui que, jeune homme, il a soutenu avec un enthousiasme exalté : celui de Salvatore Allende et de l’Unité populaire. Puis ce fut le coup d’État, la résistance, la prison, la torture et finalement l’expulsion et l’exil. Ce Chili n’est plus. Ses amis d’autrefois ne sont plus, ou plus ici. Andrés déambule dans les rues de Santiago, retrouve des lieux, des odeurs, pourtant rien n’est pareil, hormis peut-être les innombrables dictons et proverbes dont Andrés ne se lasse pas et qu’il essaie de placer (et de commenter) à tout propos. Il sait qu’il n’est qu’un retornado, un “voyageur”, un “touriste”, et certains ne se privent pas de le lui rappeler : il n’a pas vécu toutes les années de dictature, le passage à la démocratie, il ne peut pas comprendre. Pas plus que les Chiliens d’aujourd’hui ne peuvent comprendre ce que représentent trente ans d’exil dans la vie d’un homme. Andrés ne terminera pas sa vie dans ce pays qui lui semble avoir perdu son âme, rattrapé par le goût de l’argent et par la corruption. Il ne se sent plus Chilien, il ne se sent pas Français, il se sent Parisien. Il décide donc de rentrer à Paris mais auparavant, l’occasion lui est donnée de faire justice, à sa manière. Et le roman s’achève sur une stupéfiante scène tragi-comique.
Mireille BOSTBARGE