Le jeune auteur chilien, Diego Zúñiga, soulève avec Camanchaca de profondes questions sur les relations familiales, l’ambivalence des sentiments filiaux et des liens du sang, et l’hérédité. Évoluant dans un cadre intime et intimiste, l’intrigue de ce roman pousse le lecteur à s’interroger inopinément sur le ressenti d’un enfant vis-à-vis de la parenté et de son devenir d’adulte. Diego Zuñiga sera en France pour le prochaines Belles Latinas de novembre 2015. À ne pas manquer.
Un garçon de vingt ans, un peu adolescent attardé, quitte sa mère avec laquelle il vit en osmose à Santiago pour gagner la maison de son grand-père à Iquique puis Tacna, à la frontière péruvienne pour y subir à moindre frais des soins dentaires. C’est son père, accompagné de sa nouvelle belle-mère et de leur fils de dix ans, son demi-frère, qui l’emmène. Il nous décrit le paysage traversé, la maison de son “papy” et les quartiers de son enfance, y mêle ses souvenirs de différentes époques de son passé, sa vie de jeune adulte aux côtés de sa mère autoritaire et frustrée, avec un détachement apparent face à la douleur physique ou morale qu’il subit.
Effectivement c’est un étrange personnage agaçant et digne de pitié, qui subit sa vie, ne prend pas de décision personnelle, n’arrive pas à communiquer (les répliques arrivent trop tard ou ne sont jamais formulées à voix haute) ne manifeste pas l’envie de changer son destin et de se prendre en main. Mais il est aussi entouré de personnages peu sympathiques, son “papy” obnubilé par la religion et la Bible, son père gentil avec lui, mais un peu mal à l’aise et maladroit : il a son nouveau foyer à entretenir et ce grand garçon peut se prendre en charge ! Quant à la mère, c’est presque une caricature de femme seule, sans le sou, exigeante envers le père, manipulant le fils, castratrice et à la limite de l’inceste. À Iquique, il échappe un peu à son emprise, reculant le moment de lui téléphoner, n’osant pas imposer à son père la liste d’achats de vêtements qu’elle veut soutirer au père.
On devine le mal être de ce grand “dadais ”, on recompose ses souffrances physiques et mentales, mais il n’exprime aucun sentiment, cache toute manifestation de sensibilité, rien ne semble l’affecter, pas un cri de révolte, un sanglot étouffé, il ne se plaint même pas de son traitement dentaire qui a l’air pénible, à peine évoque-t-il ses douleurs de côtes après l’agression qu’il subit. Il fait un peu songer au Meursault de Camus dans ce détachement apparent, mais la comparaison s’arrête là.
L’auteur a choisi la narration à “je” mais cela ne nous pousse pas du tout à l’identification, tant le personnage est en échec constant et énervant dans sa mollesse résignée. Le style est minimaliste, le récit s’organise en chapitres très courts qui nous promènent entre passé et présent, Santiago et Iquique et qui ne nous livrent que des souvenirs négatifs, suicide du père d’un copain, solitude pitoyable à une fête de lycée, rêves de journalisme réduits à des jeux d’interviews avec sa mère, etc. On quitte ce livre, un peu secoué par tous ces personnages, un peu attristé par ce gros gaillard qui n’arrive pas à vivre et à être heureux, sans regretter toutefois de s’être lancé dans ce récit au fond assez terrible.
Louise LAURENT