Le Pérou, dans les années 80, qui sont peut-être les pires de son histoire, avec les tortures, les massacres, le Sentier lumineux, l’armée officielle, les militaires ou paramilitaires impossibles à distinguer, on a déjà lu des études et des romans sur le sujet. Bioy de l’écrivain Diego Trelles Paz pourtant apporte un éclairage nouveau en prolongeant le drame des années de violence jusqu’au début de notre 21e siècle et en montrant les conséquences de cette terrible page que certains ont cru tournée. Diego Trelles Paz est notre invité pour Primavera Latina, en mai à Lyon, et en novembre pour les Belles Latinas.
Tout le récit alterne les deux époques, autour de 1986 d’une part, de 2002 à 2008 d’autre part, le lien étant les violences, qui ont considérablement évolué entre les deux, mais qui forcément se ressemblent. On assiste pour commencer aux tortures, pratiques courantes dans les deux camps, mais Diego Trelles Paz insiste, avec raison, sur le racisme endémique au Pérou : cholo, zambo, chino, tous ces mots qui reviennent sans cesse dans tous les contacts que peuvent avoir les personnages entre eux. Un personnage se détache, par ses réactions incompréhensibles pour les autres, Bioy qui, sous des traits et des allures de bon blanc, se comporte comme une des brutes qui l’entourent. C’est presque incompréhensible, et ça le restera jusqu’à l’époque contemporaine, où on le retrouve épisodiquement. Il a donné son titre au roman, mais il n’apparaît que très peu, beaucoup plus comme une apparence que comme une réalité.
Un des intérêts principaux du livre c’est que tout est vécu de l’intérieur, que ce soit les tortures appliquées par les militaires aux « subversifs », les violences entre bandes de narcotrafiquants ou les compromissions obligatoires d’un infiltré, un policier dont la mission consiste à observer une de ces bandes tout en faisant partie pour, à terme, la faire tomber. Mais le terme est bien éloigné et l’engrenage dans lequel se trouve le policier infiltré le fait descendre de plus en plus profondément. Est-il responsable de sa chute ? À qui l’imputer ? Et finalement qui est-il ? Humberto Hernández, le policier, ou le Macarra, le membre de la bande ?
À travers ces violences, parfois à la limite du soutenable, c’est ce que l’être humain a de plus profond qui est montré. À la limite du soutenable, les scènes décrites froidement de torture ou de sexe, de viols, de résistances où chacun doit se montrer le plus fort et donc où il y a forcément un vaincu. Tout est éclaté dans Bioy, éclatée la chronologie, éclatée la psychologie des personnages, principaux et secondaires, dont aucun n’est sorti intact, physiquement et moralement, des épreuves subies, et surtout, éclatée la façon de raconter, ce qui forme une sorte de puzzle dont toute lumière est exclue. Ce roman, finaliste du prestigieux prix Rómulo Gallegos en 2013, volontairement dérangeant, souvent agressif, atteint sa cible : dénoncer, sans le moindre manichéisme.
Christian ROINAT
Bioy de Diego Trelles traduit de l’espagnol (Pérou) par Julien Berrée, éd. Buchet-Chastel, 352 p., 21 €. / Diego Trelles Paz en espagnol : Bioy, éd. Destino, Lima.
Diego Trelles sera à Decitre Lyon Bellecour le samedi 14 mars à 15h pour une rencontre dédicace.