Les régions capitales du Chili et de France ont décidé une montée en scène culturelle croisée, inscrite dans la durée. Paris et Santiago, villes et régions, coopèrent depuis plusieurs années. Cette coopération n’a rien de surprenant. Elle est quelque part la conséquence des « événements ». Le coup d’État de 1973, la dictature, et l’accueil de réfugiés en France, puis leur retour au Chili après le rétablissement de la démocratie, ont sollicité l’attention, la curiosité, et parfois la solidarité de nombreux Français. Les multiples liens établis au fil de cette histoire passionnée conduisaient à la construction de projets partagés. Jumelages et coopérations en ont été le fruit naturel en Île-de-France et dans la Région métropolitaine de Santiago-du-Chili, comme en bien d’autres endroits.
Un segment coopératif restait curieusement largement inexploité, celui de la création culturelle. En mettant en place une plateforme centrée sur le théâtre, Paris Île-de-France et Santiago métropole ont ouvert un chantier ambitieux et original. Après le développement économique, le social, l’urbanisme, la formation professionnelle, les deux collectivités ont écrit la première scène d’une œuvre inattendue, celle de la construction partagée à travers le théâtre d’un regard sur le monde. L’objectif affiché est en effet celui de fabriquer un réseau. Un réseau de troupes théâtrales des deux pays invitées à présenter leurs créations respectives, les chiliennes en France, et les françaises au Chili. Au-delà, il s’agit même de les faire travailler ensemble sur des projets communs. Afin au moyen de la diversité, celle des mots, des vécus, d’exprimer un universel accessible au plus grand nombre.
Cette plateforme franco-chilienne de culture a fait sa présentation en société le 18 novembre dernier dans les salons de la Maison de l’Amérique latine, à Paris. Les théâtres franciliens concernés, Jean-Vilar de Vitry-sur-seine, Paul-Éluard de Choisy-le-Roi, le Nouveau théâtre de Montreuil, le Théâtre de la Ville (Paris), le Théâtre de la cité internationale (Paris), Aleph d’Ivry-sur-Seine, le CND (Centre d’art pour la danse) de Pantin, la Région Idf et sa structure compétente, ARCADI, ont présenté le périmètre et les ambitions du projet sous la baguette de l’opérateur technique, « Cultural Fabrik ». Après bien sûr avoir rappelé la qualité des partenaires chiliens invités, les compagnies « Re-Sentida », « José Vidal », et « Guillermo Calderón ».
Pour la première saison, donc trois troupes chiliennes ont été invitées en Île-de-France. D’octobre 2014 à janvier 2015, ces compagnies chiliennes vont présenter quatre spectacles. Mais, et c’est l’originalité de la plateforme ces manifestations vont occuper des lieux et des scènes franciliennes diversifiés. Des débats sur la vie culturelle chilienne, mais aussi de façon plus générale la réalité chilienne et celle de l’Amérique latine sont organisés en parallèle aux œuvres présentées. Il s’agit en effet d’apporter des clefs de compréhension et de générer une accroche allant au-delà de l’émotion éventuellement ressentie à l’écoute ou à la vue d’un spectacle. Acteurs, conférenciers, ont ainsi été invités à un tour d’Île-de-France. Ils vont aller à la rencontre d’un public le plus large possible, dans les théâtres, les collèges et lycées, de Bagnolet, Choisy-le-Roi, Montreuil, Pantin, Paris, Romainville, Saint-Denis, Torcy, Vincennes, et Vitry-sur-Seine.
À partir d’avril 2015, ce sera l’opération retour, le débarquement de cinq acteurs culturels franciliens à Santiago. Ces cinq compagnies, -Aleph d’Ivry-sur-Seine ; Kosmopolite de Bagnolet, Plus petit cirque du monde de Bagneux ; Teatro del silencio d’Aulnay-sous-bois, La position du guetteur de Fontenay-sous-bois, vont bien sûr se produire sur des scènes traditionnelles. Mais l’idée des concepteurs de la plateforme culturelle Île-de-France-Santiago est de les envoyer au charbon en quête d’amateurs qui s’ignorent, à la pêche de publics très éloignés du théâtre, qu’il soit classique ou de rue. Les groupes franciliens vont ainsi faire du spectacle social, monter des ateliers de graphisme, de cirque, écrire et raconter des histoires de conserve avec les gens. Il leur reviendra de trouver les sujets qui le permettent, tout à la fois universels mais aussi ancrés dans la mémoire, et le quotidien des Chiliens.
On peut bien sûr encore demander le programme de la partie chilienne qui suit son long cours francilien et français, pour encore quelques semaines. Le 22 novembre la troupe « Re-Sentida », donne son interprétation du 11 septembre chilien, celui donc de 1973, au théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine. La pièce s’appelle La imaginación del futuro. La représentation est précédée d’un accueil-apéro. Elle est suivie d’une rencontre après le spectacle avec l’équipe de « Re-Sentida ». Les 3 et 11 décembre à Paris le Théâtre de la Ville hébergera la même troupe qui donnera dans des conditions identiques La imaginación del futuro. Le 4 décembre José Vidal produit sa chorégraphie, « Loop. 3 », au CND de Pantin. Et du 8 au 17 janvier 2015, Guillermo Calderón est à l’affiche du Théâtre de la cité universitaire avec une œuvre, Escuela , qui parle elle aussi du traumatisme de 1973.
À noter que la troupe « Re-Sentida » grâce à ce coup de pouce francilien a eu la possibilité de monter un véritable tour de France. Il va lui permettre de représenter La imaginación del futuro à Montpellier, Arras, Échirolles, Brive et Douai.
Jean-Jacques Kourliandsky