Evo Morales réélu pour la troisième fois président de la Bolivie

La question n’était pas : « Evo Morales va-t-il gagner ? » mais « Quelle sera la différence avec son plus proche rival, le néolibéral Samuel Doria Medina ? ». Le peuple bolivien a répondu : 60 % pour le président-candidat, 24 des 36 sénateurs et 84 des 130 députés pour sa coalition sociale, le MAS, Mouvement vers le socialisme. Un vrai raz-de-marée…

Le modèle économique ‘moralien’ : « la Patrie récupérée »

Le parti du président est une coalition de mouvements sociaux, syndicats, organisations paysannes et indigènes auxquels s’est peu à peu jointe une diversité de petits partis. La raison principale du succès d’Evo Morales s’explique par une longue période de développement économique sans précédent qui a changé la structure de la société. Le Président résume ainsi son succès : « Nous avons récupéré la patrie qui était dans les mains des étrangers… Nous avons créé un nouveau modèle économique et social, communautaire et productif, achevé une plus grande présence de l’État, sans accepter le système de libre-échange, en démocratisant l’économie et en rendant aux Boliviens les bénéfices de l’exploitation des ressources naturelles du pays au lieu de les donner aux multinationales étrangères ». Il faisait bien sûr allusion à la nationalisation le 1er mai 2006 des hydrocarbures et du gaz du sous-sol bolivien, réalisée sans expulsion des entreprises pétrolières mais en renversant les pourcentages des bénéfices : depuis cette date, ces entreprises paient de 60 à 80 % d’impôts à l’État et gardent de 40 à 20 % pour elles, et non l’inverse !

Ces nouveaux revenus ont permis à Morales de redistribuer l’excédent économique en créant de nombreuses allocations et subventions (dits Bonos) pour la population bolivienne jusqu’alors une des plus pauvres des Amériques. C’est le programme « Renta Digna », une pension pour les gens âgés traditionnellement oubliés ; c’est une prime aux enfants scolarisés (Bono Juanito Pinto), une autre pour les femmes qui viennent de donner naissance (Bono Juana Azurdy), c’est un salaire minimum qui est passé de 55 € par mois en 2005 à 180 € en 2014, etc. Morales : « Nous nous sommes libérés politiquement pour pouvoir nous libérer économiquement. Les ennemis, que voulaient-ils ? Nous dominer politiquement pour nous voler économiquement, mais cela, c’est terminé ! Nous ne dépendons plus des décisions prises par la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international… »(1)

Les politiques économiques ont permis de baisser le taux d’extrême pauvreté de 38 à 21 %. Autre actif : les réserves en devises sont passées de 8 à 32 milliards de dollars, ce qui permet au pays de résister à toute attaque financière, de contrôler son économie et de disposer de budgets sociaux.

 Succès politiques

Le président Morales a d’autres réussites à son actif. En 2007, le MAS propose une nouvelle Constitution. Malgré une opposition féroce des députés issus des départements orientaux, elle est votée par le Congrès en 2009. Elle transforme la Bolivie en un État Plurinational qui reconnaît ainsi les droits des populations indigènes, 62 % des Boliviens selon la CEPAL (Commission économique des Nations unies pour l’Amérique latine), jusqu’alors complètement ignorés par les oligarchies et les multinationales qui dirigeaient le pays.

Autre succès, la lutte contre la drogue. Lorsque la Bolivie expulse la DEA (l’agence US contre la drogue), les États-Unis annoncent que la Bolivie va devenir un État-narco car la production de la coca allait exploser, d’autant plus que le président Morales était un ancien leader syndical de défense des cocaleros, les producteurs de coca, une plante traditionnellement utilisée par la médecine indienne. La vérité est que si la DEA réussissait à éradiquer 5 400 ha de plantations par an, Morales en a éradiqué 11 407 rien qu’en 2013… Ce sont les syndicats cocaleros qui contrôlent eux-mêmes efficacement la culture de la coca et empêchent son utilisation par les narcos.

 Sur le plan international

La Bolivie de Morales a soutenu les efforts d’intégration et d’alliances régionales en participant activement dans la formation de l’UNASUR, de la CELAC, de l’ALBA et en se rapprochant du Mercosur (2). C’est aussi sous l’initiative et l’impulsion de la Bolivie que les Nations unies ont, en juillet 2010, décrété que « l’accès à une eau potable, salubre et propre est un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme » et ne devait pas être l’objet de profits et de marchandage. Plus de 120 pays ont soutenu cette initiative.

Evo Morales a lancé une perche aux États-Unis : le gouvernement bolivien est tout à fait disposé à rétablir des relations avec la puissance du nord si elle s’engage à respecter la souveraineté de la Bolivie et à ne pas intervenir dans ses affaires internes. Les relations entre les deux pays sont rompues depuis l’expulsion de l’ambassadeur US, Philip Goldberg en 2008, accusé par La Paz d’avoir aidé les départements orientaux dans leur tentative de sécession.

Une opposition peu crédible

Un autre élément du succès d’Evo Morales est la faiblesse de l’opposition. Non seulement, ses plus proches rivaux, Samuel Doria et Jorge Quiroga sont issus des gouvernements néolibéraux des années 90 mais Doria (propriétaire de grandes cimenteries) fut ministre du président Sánchez de Lozada, exilé à Miami, et Quiroga ministre du dictateur Hugo Banzer. Juan del Granado, ancien maire de La Paz est aussi un ancien allié du MAS. Alors « autant voter Morales » disent de nombreux électeurs. Fernando Vargas représente surtout le secteur indigène qui s’est séparé du MAS lorsque le gouvernement a décidé, sans consultation préalable, de construire une route pour camions qui couperait en deux leur territoire, le TIPNIS (Territoire indigène parc national Isiboro Sécure). La violente répression policière est à l’origine de la scission. L’opposition, sans vrai leader national et sans programme, ne proposait aucune alternative crédible. Les réformes, l’inclusion sociale et la redistribution des richesses ont produit cette vague de fond de soutien au président.

Les résultats les plus étonnants sont ceux de la région orientale du pays (Santa Cruz, Pando, Tarija), dominée par des oligarchies terriennes blanches et métisses (qui revendiquent leur passé espagnol !) traditionnellement très anti-indiennes. Il faut dire qu’avec le nouveau modèle « moralien », les riches départements orientaux ont également bénéficié d’un renouveau économique car c’est de cette région que sont extraits les hydrocarbures boliviens et où résident les grands propriétaires terriens de la macro-agriculture d’exportation. Les nouvelles normes leur ont donné d’importantes retombées économiques. Pragmatique, cette région autrefois très anti-Morales, a voté pour le président…

 Les défis à venir

Lors de son discours devant des milliers de Boliviens venus saluer sa victoire, Evo Morales a mis les choses au clair : « Au nom de ceux qui ont lutté pour la libération de la Bolivie, nous remercions cette nouvelle victoire du peuple bolivien. Il existe un sentiment de libération de nos peuples des Amériques pour ne plus être soumis à l’empire nord-américain ou au système capitaliste. Cette victoire est celle des anti-colonialistes, des anti-impérialistes, du peuple… Ici, deux programmes s’affrontaient : la nationalisation ou la privatisation. La première a gagné… »

Pendant les derniers jours de la campagne, le Président avait signalé que ses nouveaux défis seront de « répondre aux nouvelles demandes issues des avancées de la croissance économique et de l’inclusion des mouvements sociaux dans la direction du pays ». En bref, la nouvelle classe moyenne issue des bénéfices des politiques économiques a de nouvelles exigences de consommation qu’il faudra essayer de satisfaire. Morales a déjà fait savoir que son principal prochain objectif est le développement industriel du pays : « Nous allons passer d’une économie basée sur l’exploitation des matières premières à une industrielle ». Selon la CEPAL, « l’économie de la Bolivie continuera à être l’une des plus dynamiques de la Région »; elle pronostique une croissance de plus de 5,3 % pour 2015 (la France : moins de 1 %). Les investisseurs ont déjà dressé l’oreille…

 Jac FORTON

Les résultats

Les chiffres définitifs ne seront connus que dans quelques jours, mais les enquêtes « au sortir des urnes » donnent : Evo Morales du MAS (Mouvement vers le Socialisme) : 61 % (24 sénateurs sur 36 et 84 députés sur 130) ; Samuel Doria Medina de la UD (Unité démocrate) : 24 % (11 et 34) ; Jorge Quiroga du PDC (Parti démocrate chrétien) : 9 % (1 et 10) ; Juan del Granado du MSM (Mouvement sans peur, ex-allié du MAS) : 3 % (1 député) ; Fernando Vargas du PVB (Parti vert de Bolivie) : 3 % (1 député). Les plus grands succès de Morales furent dans les villes de La Paz (70 %), Cochabamba et Potosi (66 %) et, plus surprenant, la conservatrice Santa Cruz (49 %). Le seul département à avoir voté Medina est le Beni : 49 % contre 43 à Morales.
 (1) Dans une interview réalisée par le sénateur argentin Daniel Filmus sur les canaux de télévision argentins TV Pública et Encuentro du ministère de l’Éducation, le 11 octobre 2014.
(2) UNASUR : Union des Nations sud-américaines, les 12 pays du Cône sud. CELAC : Communauté des États de l’Amérique latine et des Caraïbes, soit tous les pays des Amériques moins les États-Unis et le Canada. ALBA : Alliance bolivarienne des peuples de notre Amérique, une alliance économique rassemblant neuf pays. Mercosur : Marché commun du sud soit le Brésil, l’Argentine, le Venezuela, l’Uruguay et le Paraguay.