Impressionnant retour de Aécio Neves du Parti social démocrate qui gagne in extremis la deuxième place au détriment de Marina Silva, la candidate du Parti socialiste. Le second tour s’annonce extrêmement serré. Ce sont les élections les plus disputées depuis 50 ans ! La victoire de la présidente-candidate pour un second mandat, ce 5 octobre était loin d’être gagnée d’avance. Les sondages, 15 jours avant le scrutin, donnaient Dilma Rousseff du Parti des travailleurs (PT) et Marina Silva du Parti socialiste brésilien (PSB) à égalité, loin devant Aécio Neves du Parti social démocrate brésilien (PSDB), un parti résolument néolibéral. Selon les sondages, les huit autres candidats comptabilisaient moins de 4 % des intentions de vote. Mais tout a changé durant les derniers jours précédant les élections.
Une dernière semaine d’incertitudes changeantes
Sont en jeu : la présidence de la République, 27 gouverneurs de province, 531 députés et 27 sénateurs (un tiers du Sénat). L’électorat compte 143 millions de personnes. Lors de divers débats télévisés, Rousseff a pointé les dangers du programme du PSB de Silva pour les projets sociaux mis sur pied depuis Lula en 2003, ainsi que l’incompétence de sa candidate. Dans un programme émis par TV Record, le principal canal de télévision évangéliste du Brésil, Rousseff questionna ainsi sa rivale : « Candidata Marina, vous avez changé de parti trois fois en trois ans ! Vous affirmez une chose un jour et son contraire le lendemain. Un pays ne peut être gouverné par quelqu’un qui change à tout moment de posture… » La réponse de Silva : « À chaque fois, je l’ai fait pour défendre mes idées. Je veux construire une nouvelle politique, avec la société civile et sans les vieux dogmatismes tant de la droite que de la gauche ».
Ce discours, « se mettre au-dessus des partis », lui avait attiré la sympathie de secteurs tels que les groupes progressistes ou les déçus du PT. Qui déchantèrent vite lorsque les lignes générales de son programme furent rendues publiques : indépendance de la Banque centrale (c’est-à-dire remettre la politique financière du Brésil dans les mains du marché et de la finance internationale) ; se rapprocher des États-Unis (donc perdre une grande partie de l’indépendance géopolitique gagnée sous les mandats de Lula et Rousseff) ; s’éloigner du Mercosur et des BRICS pour se tourner vers l’Alliance du Pacifique (donc rallier les pays néolibéraux) (1) ; chercher des investisseurs étrangers pour exploiter le pétrole de l’océan (donc privatiser le pétrole brésilien), et surtout, réduire les aides aux banques qui octroient un crédit populaire et financent les politiques sociales telles que la ‘Bourse Famille’ (subvention aux familles pauvres) ou le programme ‘Ma maison, ma vie’ (subvention à l’achat de logement) qui ont sorti de la misère plusieurs dizaines de millions de Brésiliens.
Une autre décision de Silva a fait douter plus d’un électeur : elle choisit Fernando Henrique Cardoso comme principal conseiller. Cet ancien président ultra-libéral défait par Lula en 2002, appartenait au PSDB mais, sentant le vent souffler en faveur de Silva, quitta son parti pour lui offrir ses services. Celle-ci reprit l’idée ‘cardosienne’ de « actualiser la législation du travail ». Ce qui attira une réplique cinglante de Vagner Freitas, de la principale centrale syndicale brésilienne : « Au Brésil, quand on parle de changer les lois du travail, ce n’est jamais pour favoriser les travailleurs… Marina utilise les mêmes arguments que les patrons… » Du coup, non seulement Rousseff remonta fortement dans les sondages, et Silva de descendre à tel point qu’elle fut bientôt rattrapée par Aécio Neves qui considère que Rousseff et Silva sont deux faces de la même pièce ! La lutte n’était plus qui allait prendre la première place, Rousseff étant donnée gagnante, mais qui entre Silva et Neves serait en lice pour le second tour…
Le poids de la presse, des évangélistes et de la Bourse
La presse brésilienne, massivement opposée au PT depuis Lula, a pesé de tout son poids sur l’électorat, en particulier, la presse contrôlée par les évangélistes. Ceux-ci révèlent sans inhibition leur tactique pour conquérir des sièges au Parlement ou essayer de contrôler la présidence. Dans un article publié par le Monde diplomatique du mois d’octobre 2014, le pasteur Silas Malafaia, chef de l’église pentecostale Assemblée de Dieu explique : « Au second tour, nous allons parler avec les deux candidats et lui dire ‘Tu veux notre soutien ? Tu devras signer un document et t’engager à refuser telle ou telle législation »… Un signe évident des enjeux sociaux et économiques : chaque fois que Marina Silva montait dans les sondages, la Bourse de Rio montait aussi de plusieurs points. Chaque fois que Dilma Rousseff repassait devant, la Bourse chutait… À quelques heures du scrutin, Rousseff reprenait la tête des sondages, Silva et Neves se disputant la deuxième place.
Les résultats
Dilma Rousseff (Partido Dos Trabalhadores, PT) : 41,59 % / Aécio Neves (Partido da Social Democracia Brasileira, PSDB) : 33,55 % / Marina Silva (Partido Socialista Brasileiro) : 21,32 % / Luciana Genro (Partido Socialismo e Liberdade, PSOL): 1,55% / Pastor Everaldo (Partido Social Cristão, PSC) : 0,75 % / Eduardo Jorge (Partido Verde, PV) : 0,61 % / Levy Fidelix (Partido Renovador Trabalhista Brasileiro, PRTB) : 0,43 % / Zé Maria (Partido Socialista Dos Trabalhadores Unificado, PSTU) : 0,09 % / Eymael (Partido Social Democrata Cristão, PSDC) : 0,06 % / Mauro Iasi (Partido Comunista Brasileiro, PCB) : 0,05% / Rui Costa Pimenta (Partido da Causa Operária, PCO) : 0,01%
Et maintenant ?
La grande inconnue pour le second tour du 26 octobre est comment vont voter les électeurs du Parti socialiste et les partisans de Marina Silva? La candidate perdante a (pour le moment) indiqué qu’elle ne donnera pas de consigne de vote. Il est probable qu’elle appellera finalement à voter pour Neves mais il n’est pas sûr que le secteur « déçus du PT » accepte de voter pour l’ennemi néolibéral. D’ailleurs un secteur du Parti socialiste serait favorable à une alliance avec le PT. Aécio Neves, lui, peut compter sur le soutien de toute la presse et de la télévision brésiliennes, des lobbys évangélistes et des votes des écologistes de Marina Silva si elle en donnait la consigne. Le PT de Rousseff va devoir convaincre ses « déçus », les écologistes et les indécis que les programmes sociaux sont en danger et pointe pour preuve que le conseiller de Silva, l’ancien président ultra-libéral Fernando Cardoso a, dès qu’il a compris qu’elle perdait du terrain, rapidement tourné sa veste une deuxième fois et rejoint le PSDB. La lutte pour la présidence n’est encore gagnée pour personne…
Jac FORTON