On connaît Paulo Lins pour son roman La Cité de Dieu, adapté au cinéma. Depuis la sortie du roman, il y a déjà 17 ans, il s’est consacré à d’autres activités et n’a rien publié. Il a pourtant travaillé pendant quatorze ans sur un sujet qui lui tenait à cœur, quatorze ans pour écrire ce qu’il voulait être le grand roman sur la naissance de la samba. Mission accomplie : il nous propose aujourd’hui Depuis que la samba est samba, solide documentaire et roman ébouriffant.
C’est bien de ça qu’il s’agit : on est constamment à cheval entre la découverte d’une époque, décrite avec énormément de justesse et les rebondissements d’une complexe histoire d’amour entre trois personnages hauts en couleurs.
On est dans les années 20 à Rio, dans la Zone, quartier, comme le dit son nom, des bars louches, des proxénètes et des malandros, mais aussi des cordonniers, des petits fonctionnaires et des employés de banque. Là est en train de naître un rythme neuf, la samba. Rien encore n’est codifié, il y a tout juste deux ou trois hommes, peu recommandables vus de l’extérieur, qui imaginent des vers sur des tempos nouveaux qui ne plaisent pas aux « vieux ». Ils ont des casiers judiciaires impressionnants, ces créateurs, ils vivent pour cette musique naissante, et, à l’occasion, ils ne détestent pas de poignarder à droite ou de castagner à gauche, parfois jusqu’à tuer. Quant à la police, elle est le plus souvent trop heureuse de cogner elle-même, surtout si les bandas sont exclusivement composées de Noirs, mais le plus souvent elle ne fait qu’appliquer, avec zèle c’est vrai, les diverses interdictions à l’encontre de cette musique qui dérange, nul ne sait pourquoi.
Les précurseurs se nomment Alvés, la vedette de la chanson qui s’intéresse à ce courant émergeant, Ismael Silva, le premier à mettre des paroles, Bide et Brancura. Ce n’est pas un monde idéal qui nous est offert, les problèmes d’argent (de droits d’auteur, dirait-on aujourd’hui) sont montrés très crûment, les uns étant exploités par d’autres, l’industrie du disque naissante n’étant pas innocente ni désintéressée du tout. Le jour où la vedette la plus populaire prend (c’est bien le terme) une samba au modeste compositeur qui n’est encore qu’un modeste cordonnier, il lui fait un tel honneur qu’il n’est même pas question d’argent entre eux ! Et puis il y a la diffusion, la radio, nouveau moyen de se faire connaître par des milliers de gens en même temps, véritable révolution dont Alvés ou Brancura savent déjà l’importance. Paulo Lins nous montre tout ce bouillonnement dans un style qui le reproduit : son texte lui aussi bouillonne, les personnages, timides ou truculents se côtoient, s’évitent, s’aiment ou se combattent sans aucune baisse de régime.
Il faut dire que l’autre côté de ce roman, c’est une histoire d’amour impossible (ou presque) d’amour et de rivalité. La plus belle fille du quartier, Valdirène, unanimement considérée comme la plus belle des prostituées de la ville, hésite entre ses deux prétendants, un Blanc et un Noir, un malandro et un employé de banque dont le passé n’est pas forcément reluisant, tous deux d’une sensualité dont la jeune femme peut difficilement se passer. Mais rivaliser en amour dans ce quartier veut dire aussi risquer sa vie : un rival est forcément un ennemi mortel, même si on le côtoie chaque jour. Le seul bémol à mettre à ce livre trépidant est la lourdeur de la plupart des scènes d’amour.
Au moment où se termine l’immense publicité faite au Brésil, à l’occasion de la Coupe du monde, quoi de meilleur que de se plonger délicieusement dans cette fresque pleine de couleurs sur la naissance d’un art qui, près d’un siècle plus tard est loin d’être mort.
Paulo Lins : Depuis que la samba est samba, traduit du portugais (Brésil) par Paula Salnot, éd. Asphalte, 287 p., 22 €. En librairie le 4 septembre.
Christian ROINAT