L’Été des poissons volants (El verano de los peces voladores) de Marcela Said (Chili), était présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes et depuis dans de nombreux Festivals. La réalisatrice a su trouver le ton pour évoquer la violence dont use cette grande bourgeoisie pour protéger ses intérêts et maintenir le statu quo. Elle montre aussi par l’image et le son, l’invisibilité du conflit Mapuche, le désintérêt des autorités et l’indifférence de la plus grande partie de la population. Cette réalisation d’1h35 est disponible dès demain en salle.
À 800 kilomètres au sud de Santiago, Manena vient en vacances dans la propriété familiale. Pancho, son père n’a qu’une obsession, éliminer les carpes de son lac. Alors qu’il recourt à des moyens de plus en plus dangereux, Manena connait ses premiers émois et déboires amoureux et découvre un monde que nie sa famille, celui des travailleurs indiens Mapuches qui revendiquent l’accès aux terres ancestrales et s’opposent à cette riche famille.
-Nous avons rencontré (1) Marcela Said et nous lui avons d’abord demandé son parcours :
Je suis chilienne d’origine. J’ai vécu à Santiago jusqu’à 23 ans. Je suis venue à Paris pour continuer mes études à La Sorbonne. Là j’ai connu mon mari, Jean de Certeau. Il a été très important dans ma carrière puisqu’il m’a tout appris et parce que j’allais dans les salles de montage. Et c’est comme cela que j’ai réalisé quatre documentaires : un premier pour la télévision française Sur Valparaíso (1999). Puis j’ai réalisé mon premier film en tant qu’auteur I Love Pinochet (2001), un film très politique qui parle du fascisme ordinaire et du “pinochètisme” au Chili. Il a très bien marché. Ensuite j’ai coréalisé avec Jean de Certeau Opus Dei – Una cruzada silenciosa en 2006 qui rendait compte de l’intégrisme de droite au Chili et dans le monde. Et après avoir vécu dix ans en France, nous sommes rentrés au Chili et là j’ai fait El Mocito en 2011, le portrait d’un bourreau, en fait quelqu’un qui a fait le ménage dans les camps de concentrations pendant dix ans. Puis je suis tombé sur une histoire vraie qui m’a saisie et donné en vie de tourner un long métrage à huit heures de Santiago dans la Cordillère, dans la Région d’Araucanie, un endroit qui s’appelle Cura verde.
–D’où vous est venue l’idée de El verano de los peces voladores et de l’histoire de ce grand père qui veut tuer des carpes ?
C’est une histoire vraie. On allait en Patagonie. Comme c’est très loin, nous avons logés chez une amie qui avait une maison incroyable (où l’on pas pu tourner) et son père avait un grand étang pollué par des carpes. Je demande si l’on peut s’y baigner et mon amie me répond que son père y a mis de la dynamite pour se débarrasser des carpes. Nous nous sommes dit que c’est incroyable, ce bourgeois déconnecté de la réalité qui n’en fait qu’à sa tête, ce mec riche et capricieux. J’ai commencé à écrire là-dessus sans trop y croire. Le projet à beaucoup plu, il a été sélectionné à Locarno. Puis j’ai fait mon documentaire et à un moment je me suis dit qu’il fallait faire le film, mais c’est venu tout naturellement.
-Et cette bourgeoisie existe toujours ?
Oui, au Chili, elle a le pouvoir. Il y quinze familles qui sont propriétaires du pays. Il ne faut pas rêver ! Ils se sentent en dehors de la loi.
-Cela m’a fait penser aux films argentins de Lucretia Martel, comme La femme sans tête?
Parce que ce sont des films d’atmosphère. Lucretia Martel décrit une bourgeoisie en décadence alors que moi, elle est en décadence morale, mais pas au niveau de l’argent. Et son personnage de la mère était très fort, alors que là, il est complètement effacé.
-Vous avez fait un beau travail sur le son ?
C’était très important. Et quand on ne voit pas ce qui se passe c’est le son qui va raconter les choses.
-Pourquoi Pedro, le jeune mapuche, meure-t-il ?
Jusqu’à très peu de temps, dans ce conflit, les seules victimes étaient les Mapuches. Un jour, ils étaient venus bruler de la paille et la police a tiré sur les jeunes. Je voulais faire référence à cette histoire. Mais je dois dire qu’il y a très peu de temps, il y a eu pour la première fois deux victimes âgées chiliennes, brulées dans leur maison. La violence ne fait qu’augmenter. Je voulais parler de ce conflit qui est prêt à exploser. Dans la région où nous avons tourné, c’est là que sont les communautés qui réclament leurs terres. C’est l’âme de la terre et ils se battent pour cette terre qui est si belle. Il y a quelques groupes organisés, mais c’est un sujet très complexe que je ne voulais pas traiter. Ce que je voulais c’était faire ressentir la tension qu’il y avait dans cette famille parce qu’elle avait peur. Nous à Santiago, on ne ressent pas cela. Je n’avais jamais vu ce conflit. On n’en parle pas.
-Comment avez-vous trouvé le Chili à votre retour au pays ?
Ça va mieux. Maintenant les jeunes parlent beaucoup plus du passé sans peur. La jeunesse est en train de récupérer ses droits. C’est toujours un pays ultralibéral avec des différences sociales énormes. Il y a les riches et les pauvres et une classe moyenne endettée. C’est un pays qui évolue et qui va vers quelque chose de mieux, malgré tout(…).
Propos recueillis durant le Festival de Cannes en mai 2013 par Alain LIATARD.
(1) L’entretien en entier a été publié dans le numéro Hiver de la revue ESPACES LATINOS.