Sept organisations de défense des droits de l’Homme appellent les autorités françaises à donner une suite favorable à la demande d’extradition de Mario Alfredo Sandoval, poursuivi en Argentine pour crimes contre l’humanité pendant la Dictature (1976-1983).
Le mercredi 9 avril prochain, à 16h, la Chambre de l’instruction de Paris tiendra une audience publique sur le fond concernant la demande d’extradition de Mario Sandoval. Il est poursuivi en Argentine pour crimes contre l’humanité, privation de liberté et tortures ayant entraîné la mort, commis au sein de l’École de Mécanique de la Marine (ESMA). De ce centre de détention clandestin à Buenos Aires, près de 5 000 personnes ont disparu durant la Dictature. Parmi les victimes de l’ESMA, Hernan Abriata (23 ans), un étudiant en architecture membre de la Jeunesse universitaire péroniste. Ses parents racontent : “Le 30 octobre 1976, des hommes armés sont entrés de force et ont interrogé Hernan dans sa chambre. L’un d’entre eux s’est présenté : ‘L’Inspecteur Sandoval de la Coordination fédérale’”. Les agents emmènent Abriata qui disparait.
Saisie d’une plainte déposée par la famille, l’enquête est menée par le Juge Sergio Torres, qui émet un mandat d’arrêt international contre Sandoval le 15 mars 2012.
Un Curriculum intrigant (1)
L’enquête montre qu’en 1976, Mario Sandoval était bien inspecteur adjoint à la Commission des affaires politiques de la Coordination Fédérale, une section de la Police fédérale argentine durant la dictature. La famille de Hernan Abriata avait déclaré que Sandoval leur avait dit que la “dénonciation” venait de la Faculté d’Architecture où il étudiait et militait. Le 7 novembre, six autres étudiants de la faculté étaient séquestrés, un seul survécut. Dix jours plus tard, Sandoval recevait une “citation”, “pour son action dans les opérations anti-subversives”.
Après la chute de la junte militaire en 1983, Sandoval s’installe à Paris, obtient un doctorat en sciences politiques, un DEA en philosophie politique à Paris-I et se spécialise dans “l’intelligence économique”. Proche des activités de renseignement, il occupe différents postes dans des instances commerciales et académiques avec l’Amérique Latine. En 1994, il obtient la nationalité française. Selon Mediapart, “il a ainsi pu décrocher des postes de conférencier et d’enseignant en relations internationales et en intelligence économique à l’Institut des hautes études pour l’Amérique latine, à l’École supérieure d’économie et de gestion de Paris, à l’université de Marne-la-Vallée et au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il a indiqué être aussi membre du Collège international de philosophie”. (2).
On ne sait plus grand-chose de lui jusqu’en 2002 lorsqu’on le retrouve à l’École de guerre argentine où il organise un cours sur la Sécurité. Le journaliste argentin Horacio Verbitsky découvre que deux intervenants colombiens ont été invités à ce cours sur des lettres de recommandation écrites par Sandoval, qui se disait professeur à la Sorbonne et se présentait comme délégué de l’Union Européenne pour les conversations de paix en Colombie.
Mais en pleine conférence, un de ces intervenants se déclare “commandant des Autodéfenses unies de Colombie (AUC)”, une organisation paramilitaire d’extrême droite. Les organisateurs interrompent immédiatement le cours et renvoient les Colombiens chez eux.
Le journal El Tiempo de Colombie rappelle alors que, lors d’une réunion des AUC en 2001, “un professeur de La Sorbonne-Université de Paris III, M. Mario Sandoval” avait été invité en tant qu’expert en conflits.
Dans l’édition de mai 2007 du Monde Diplomatique, Laurence Masure révèle que “fin novembre 2006, le site de l’ambassade de France au Chili indiquait que M. Sandoval, ‘universitaire chargé de mission à la direction de l’intelligence économique de l’ACFCI [Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie]’, faisait partie d’une ‘importante délégation’ autour de la personne de M. Alain Juillet – neveu de M. Pierre Juillet, l’ancien conseiller de M. Jacques Chirac – grand patron, proche des milieux de la défense, directeur de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) en 2002, et nommé plus récemment par M. Nicolas Sarkozy au poste de directeur de l’intelligence économique auprès du Premier ministre”.
En 2008, Sandoval est nommé directeur du Renseignement économique au cabinet du Premier Ministre et fait partie du Conseil de Défense et de Sécurité nationale créé par l’ancien président Nicolas Sarkozy en janvier de cette année.
Le journaliste Sylvain Lapoix révèle (3) qu’en 2008, Sandoval est invité à la Défense à Paris pour un colloque “Intelligence économique et Francophonie” puis aux “Premières rencontres d’intelligence économique de la Grande Caraïbe et du Bassin amazonien” à Cayenne en Guyane organisé par l’ACFCI et le ministère de l’Économie. Étrangement, alors que son nom apparait dans les versions espagnole et anglaise du programme comme devant parler à 9h35, il n’apparait pas sur le programme en Français !
Mario Sandoval contre-attaque
Face à ces dénonciations, en 2011, Sandoval dépose devant le tribunal de Grande instance d’Auxerre une plainte contre le directeur du site El Correo (4) qui avait traduit et diffusé un article publié en 2008 dans un journal argentin qui dénonçait l’appartenance de Sandoval à des escadrons de la mort (5). Il inclut dans sa plainte les médias français Marianne, Médiapart et France Info qui avaient repris cette information. Sa défense se base sur l’argument de l’homonymie : “Lui, Mario Sandoval, est confondu avec quelqu’un qui porte le même nom que lui… D’ailleurs, il n’est ni inculpé ni recherché par la justice argentine…”
Le 16 février 2012, il est débouté par la Cour qui estime la plainte “irrecevable pour prescription des faits et extinction de l’action publique”. Sophie Thonon, avocate de El Correo “regrette que, devant une juridiction française, il ne soit plus possible de prouver que Mario Sandoval a été celui qui a participé à des actions subversives durant la dictature.” (6)
En octobre 2012, Sandoval écrit un texte contre “le gouvernement cleptocratique dictatorial de l’Argentine actuelle”. Il met en garde contre le “danger imminent” que le pays se dirige vers un “chaos général”, et appelle les citoyens à ne reconnaître ni le gouvernement ni les fonctionnaires ni les juges… (7)
Requis par la justice argentine
Un mois plus tard, le 15 mars, le juge fédéral argentin Sergio Torres lance un mandat d’amener international contre lui pour pouvoir l’interroger dans le cadre d’un grand procès dit ESMA III dans lequel 67 personnes sont accusées de 780 disparitions forcées. L’École de mécanique de la Marine de guerre (ESMA) avait été transformée en centre de détention et de torture pendant la dictature. Sur les 5.000 personnes passées par là, moins de 500 ont survécu. Certaines d’entre elles ont accusé Sandoval de les avoir torturées. La Police Fédérale de l’époque reconnaît que son département de Coordination fédérale avait travaillé avec les escadrons de la mort de l’ESMA. Le juge Torres veut interroger Mario Sandoval sur “sa participation et ses éventuelles responsabilités dans des crimes contre l’humanité commis entre les années 76 et 83 : privation illégale de liberté, tortures ayant provoqué la mort”. Le juge Torres demande son arrestation à la justice française et dépose une demande d’extradition vers l’Argentine.
Alors que son adresse (rue Mouraud, Paris 20e) est connue, la justice française met un an pour arrêter Sandoval, le 5 juin 2013. Il est libéré huit jours plus tard ! Fin septembre 2013, le premier secrétaire de l’ambassade de France en Argentine, Grégory Varennes, reçoit Carlos Lorkipanidse et Carlos Loza, membres de l’Association des anciens détenus et disparus argentins qui lui remettent une lettre destinée à l’ambassadeur Frédérique Baleine de Laurens, signée de personnalités argentines dont le Prix Nobel de la Paix Adolfo Esquivel, demandant l’extradition de Sandoval “au nom des valeurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948”.
Lorsque le Procureur général de Paris, Jean-Charles Lecompte lui demande des précisions, le juge Torres explique que le dossier Sandoval est important et qu’il va étendre les accusations à des dizaines d’autres inculpés pour les disparus pendant la période durant laquelle Sandoval travaillait avec les escadrons de l’ESMA.
Plusieurs ONG de défense des droits humains demandent alors l’extradition de Sandoval par la France, dont la FIDH, la LDH, l’ACAT et FAL (8). Elles insistent sur le fait qu’elles sont conscientes que la France n’extrade pas ses nationaux, mais que cette règle ne s’applique pas à Mario Sandoval car l’article 696-4 du Code de procédure pénale exclut cette règle lorsque la personne réclamée n’avait pas la nationalité française au moment de l’infraction.
Complications juridiques
Le 9 octobre 2013, la Chambre de l’instruction de Paris sous la présidence de Jean-Claude Bartholin, se réunit pour examiner la demande argentine. Il y a deux difficultés : l’identité de l’accusé et sa nationalité. Sandoval clame qu’il ne s’agit pas de lui et la Cour ne semble pas convaincue que le Mario Sandoval naturalisé Français soit le même Mario Sandoval qui fut policier fédéral en Argentine. Son avocat, Bertrand Lampidès affirme que malgré ses 800 pages, “le dossier est vide, il n’y a aucun élément de preuve”. Il attaque à la fois le journal argentin Pagina12 qui “vise” son client, et le gouvernement argentin qui “veut un procès politique”. Son client paierait “le prix d’une politique argentine qui veut juger et fait des amalgames” et, selon lui, en Argentine “les droits de la défense ne sont pas garantis”.
Le chargé des affaires politiques de l’ambassade argentine en France, Mariano Padrós, signale que la demande contre Sandoval répond à une politique “d’éradication de l’impunité” des crimes contre l’humanité commis pendant la Dictature. Il explique que les lois argentines permettent de juger des crimes contre l’humanité. Sophie Thonon, avocate de l’Argentine, souligne que ce type de crimes est imprescriptible.
Mais le Procureur général estime que “le dossier d’extradition souffre de plusieurs lacunes” et qu’il “a besoin de plus de précisions”. Finalement, la Cour demande que la justice argentine confirme par écrit les déclarations du chargé d’affaires et repousse sa décision à fin octobre.
Dans une colonne publiée par le journal Le Monde du 16 octobre, le philosophe franco-argentin Miguel Benasayag (torturé sous la Dictature) s’adresse à Mario Sandoval : “Monsieur, si vous êtes innocent, présentez-vous devant la justice de notre pays. Ce n’est pas n’importe quelle justice. Elle est le résultat de 30 000 victimes mortes pour elle. Si vous n’êtes pas le Sandoval tortionnaire, si vous êtes un autre Sandoval, rendez-vous avec votre peuple au bureau du juge Torres car ne pas être extradé ne sera en rien une preuve de votre innocence…” Et de conclure : “Que les bourreaux soient jugés avec toutes les garanties démocratiques possible, voilà notre victoire !”.
Le 30 octobre, le président Bartholin déclare que la justice française demande à la justice argentine des éclaircissements sur 14 points, et qu’en conséquence il repousse sa décision au 12 février 2014.
Sept organisations de défense des droits humains rappellent que “C’est la première fois qu’un présumé tortionnaire argentin, présent en France, fait l’objet d’une demande d’extradition. En raison de la gravité des accusations et de l’importance de la lutte contre l’impunité en matière de crimes contre l’humanité, il est de la première importance que Mario Alfredo Sandoval puisse être jugé en Argentine. Reconnaissant que la France, avec l’Argentine, ont largement contribué à l’élaboration de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, nos organisations appellent les autorités françaises à répondre immédiatement et favorablement à la demande d’extradition de Mario Alfredo Sandoval. La France ne saurait être une terre de refuge pour les personnes poursuivies pour crimes contre l’humanité…”
Lors de son audience du 12 février 2014, la Chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris fixe au 9 avril prochain l’audience sur le fond concernant la demande d’extradition de Mario Sandoval par la justice argentine.
Jac Forton
Notes :
(1) Les sources pour la rédaction de cet article sont multiples : le blog d’Artiga de Laurence Mazure sur Mediapart ; un article de Philippe Broussard dans l’Express du 12 janvier 2012 ; le journal argentin Página12, le site web de El Correo.
(2) « Mario Sandoval doit être extradé vers l’Argentine« , publié le 8 octobre 2013dans la section « Les invités de Mediapart » et signé entre autres par Miguel Benasayag, philosophe, Jean-Pierre Faye, co-fondateur du Collège International de Philosophie, François Gèze, éditeur, Olivier Mongin, philosophe et Bernard Stiegler, philosophe.
(3) Dans le magazine Marianne du 11 avril 2008.
(4) Site de la diaspora argentine en France (www.elcorreo.eu.org)
(5) Un article de Nora Veiras dans le quotidien argentin Página12 du 16 mars 2008
(6) Communiqué de l’AFP du 16 février 2012, repris par El Correo.
(7) Lire l’article de Diego Martinez paru dans Pagina/12 le 30 septembre 2013.
(8) FIDH : Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme. LDH : Ligue française des droits de l’Homme. ACAT : Action des chrétiens contre la torture. FAL : France Amérique latine.
Pour en savoir plus : ACAT : 01 40 40 99 69, Association France Amérique Latine : 01 45 88 22 74, site web.