Le 2 avril sort le troisième film de la vénézuélienne Mariana Rondón, Pelo malo. À Caracas, dans un quartier populaire, Junior, 9 ans, a un gros problème. Il a les cheveux frisés de son père et veut les lisser afin d’être pris en photo avant sa rentrée des classes.
Il utilise tout ce qu’il trouve, mayonnaise, huile etc. Mais sa mère n’a pas d’argent car elle vient de perdre son travail de vigile et est très angoissée. Son mari a été tué au moment de la naissance de Bébé sur lequel elle reporte son affection. Sa belle mère est prête à accueillir Junior pour lui apprendre à chanter et à danser. Mais celui-ci préfère rester au pied de l’immense barre d’immeuble où il sympathise avec un jeune vendeur de journaux ou avec une voisine de son âge qui veut se faire photographier en costume de Princesse. C’est un film tout en finesse où la mère jouée par Samantha Castillo n’arrive pas à vivre sa vie difficile avec son lot d’insécurité, de détresse sociale et affective et de machisme. Ainsi elle en arrive à s’affronter avec son fils qui a la tète pleine de rêve. Le film est remarquablement interprété et a gagné la concha de oro au festival de San Sebastián 2013. Voilà quelques extraits de l’entretien avec Mariana Rondón que nous avons eu au Festival de Biarritz :
Qu’as-tu fait depuis les Cartes postales de Leningrad, réalisé en 2007 ?
J’ai produit un film intitulé El chico que miente réalisé par Marité Ugás. On procède à tour de rôle : quand l’une produit, l’autre réalise… Si bien qu’elle a produit Cartes postales de Leningrad et ensuite j’ai produit El chico que miente. Ce film a été présenté à la Berlinale en 2011 et a eu un joli parcours. Là, on vient encore d’intervertir les rôles pour Pelo Malo et on le fera à nouveau pour le prochain film.
Ça faisait longtemps que tu voulais faire ce film, Pelo Malo ?
Non, en fait il a vu le jour très vite : j’ai commencé à l’écrire dès la fin du tournage de El chico que miente, et pendant qu’on faisait le tour des festivals avec ce film. Il a donc été vite écrit. Et comme c’est un film à petit budget, le tournage n’a pas pris longtemps non plus.
Tu as reçu de l’aide de Berlin ?
Oui, de World Cinema Fund et de Film Iniciative.
Tu as aussi bénéficié de “Cinéma en Construction” ?
Oui, à Toulouse.
Depuis l’écriture, tu veux créer une distinction entre les deux enfants : le plus grand, qui reste un peu à distance de sa mère et le bébé, qui en est beaucoup plus proche ?
En effet, je pense que la mère a un lien différent avec ses deux fils, elle n’a pas la même relation avec le grand et avec le petit. Je n’aime pas en parler ainsi au spectateur, qui pourrait, en nous lisant, avoir des préjugés avant même de voir le film. Il s’agit d’une relation conflictuelle avec une mère nécessiteuse, qui vit dans la précarité, tout en essayant de s’occuper de ses fils et de les protéger avec le peu d’armes dont elle dispose, quitte à être parfois très maladroite.
Tu as situé ce film au moment de la maladie d’Hugo Chavez ?
Non, c’est juste que cela faisait la une de l’actualité au moment où on filmait. De la même façon que j’ai filmé les rues dans une optique documentaire, j’ai voulu produire le même effet en montrant les télévisions, et c’était ce qui passait à la télé au Venezuela à ce moment-là. J’ai tenu à respecter ce moment de l’Histoire.
L’interprétation des personnages de Junior et Martha est très belle…
Ça a été un travail très beau à mener. Je suis restée presque trois mois enfermée à parler avec les acteurs. Le travail s’est fait à partir de jeux qui nous ont permis, après des heures et des heures, de construire ces personnages. Ça a demandé un gros travail pour différencier la vie de Samuel et Samantha de celle de Junior et Martha, parce qu’il y a de la violence dans la relation de ces derniers. Je voulais qu’en tant que personnes, Samuel et Samantha puissent se distinguer de leurs personnages, parce que d’un point de vue éthique, cela ne m’intéresse pas d’abuser des acteurs : je ne veux pas qu’ils représentent leurs vies, mais celles de leurs personnages. Nous avons donc passé beaucoup de temps à construire les personnages. Samuel et Samantha ont une relation merveilleuse entre eux : ils sont très drôles, ils jouent beaucoup et sont très bons amis. Ça a donc été très beau, qu’ils deviennent bons amis et qu’après on construise leurs personnages qui entrent en conflit alors qu’eux-mêmes ont de bonnes relations. Dès lors, il a été possible de travailler la violence sans que cela ne fasse de mal à l’être humain en train de jouer le personnage.
Samuel a-t’il déjà vécu avec sa mère une situation aussi difficile que celle vécue par Junior dans le film ?
Non, il s’agit d’une représentation. Ils ont très bien travaillé en ayant à l’esprit en permanence que jouer un rôle dans un film est un jeu. Je n’ai jamais tiré profit de la vie réelle, des relations… Au contraire, ils ont du travailler bien et beaucoup parce que leur vraie vie était bien différente.
Tu vis au Venezuela ?
Oui.
C’est difficile d’y faire des films ?
Non. Il y a une loi du cinéma selon laquelle tous ceux qui appartiennent au milieu de l’audiovisuel sont obligés de payer un impôt. Cet impôt sert à alimenter un fonds de concours qui finance des projets. On soumet son projet et s’il est sélectionné, le film, à la fin du tournage, est assuré d’être distribué au moins deux semaines dans les salles, de façon à lui donner une bonne visibilité. C’est une aide précieuse. Les films sont vus par de nombreux spectateurs vénézuéliens et c’est merveilleux!
Caracas est une ville avec beaucoup de voitures.
Effectivement, et pour cause, c’est un pays producteur de pétrole : l’essence y est bon marché, d’où le nombre important de voitures.
Comment est le quartier où se situe l’action du film ?
En fait, ce sont plusieurs quartiers différents, grâce auxquels j’ai reconstruit un quartier.
Tu as de nouveaux projets en ce moment ?
On vient de terminer ce film, et on en prépare un autre, réalisé par Marité. Mais bon, il est trop tôt pour en parler, on vient à peine d’achever celui-ci.
Et tu as des projets en solo ?
Celui-ci, Pelo Malo (rires). Mais je travaille aussi dans les arts plastiques, donc j’ai toujours des projets en simultané pour le cinéma et pour les arts plastiques.
Tu peux nous en dire plus ?
J’ai un projet d’art électronique, je travaille avec la robotique.
Qu’est-ce que tu fais avec ça ?
J’ai travaillé pendant 10 ans dans un très grand projet de robotique. C’est très simple mais aussi très difficile à faire. Ce sont des robots qui font des bulles de savon géantes, avec à l’intérieur des projections d’êtres qui sont des mutations génétiques entre humains et animaux. C’est un laboratoire génétique.
Tu as déjà exposé ?
Je l’ai exposé à beaucoup d’endroits, dont les JO de Pékin, et aussi en Espagne, en Argentine, au Chili. J’ai gagné le Prix “Vida artificial” de la Fondation Telefónica en Espagne. Ils m’ont offert une tournée pour présenter mes travaux pendant deux ans à travers l’Amérique latine. Maintenant je travaille sur un projet d’expo, qui n’est pas de la robotique et que je vais présenter dans un bâtiment où a été tourné le film.
Propos recueillis pas Alain LIATARD
(Traduction Boris Chassaing)
[image align= »left » img= »http://www.espaces-latinos.org/wp-content/uploads/Lineaorange500-10.jpg » /]
Mariana vient de présenter une installation audiovisuelle interactive Superbloque, au festival latino de Toulouse.
Vient de sortir, quelques séances par jour dans deux salles à Paris, le documentaire El impenetrable de Daniele Incalcaterra et Fausta Quattini. L’auteur-réalisateur vient d’hériter d’une terre au cœur de la foret au Paraguay. Il pense la rendre aux indiens Guarani afin d’éviter la déforestation et l’agriculture intensive. Mais il ne peut accéder à sa propriété et le film nous raconte sa quête pour récupérer ses droits face au cynisme de ses voisins et à la corruption. Cette épopée est racontée de façon très vivante et tristement drôle.
La semaine prochaine, je vous présenterai Heli, le film mexicain primé à Cannes (Sortie le 9 avril), et le très beau film cubain Melaza qui sortira le 16.
A.L.