Ce mardi 11 mars restera comme une date historique au Chili. Une première probablement dans le monde. Deux femmes occupent au Chili les plus hautes fonctions de l’État. La nouvelle présidente du Sénat Isabel Allende et Michelle Bachelet présidente du Chili pour un deuxième mandat. Espaces Latinos a participé à cette symbolique passation du pouvoir avec deux envoyés spéciaux.
Symbole fort dans un pays encore marqué par la dictature, c’est la sénatrice socialiste Isabel Allende, fille de l’ex-président Salvador Allende renversé par le coup d’État du 11 septembre 1973, et première femme à présider le Sénat chilien, qui a remis l’écharpe présidentielle bleu, blanc et rouge à Michelle Bachelet, 62 ans. Un des moments émouvants de cette cérémonie de passation du pouvoir fut de voir les deux femmes socialistes s’embrasser et avoir pensée pour leurs pères respectifs.
Les cérémonies d’investiture se sont déroulées à Valparaíso, à quelques 120 km de la capitale chilienne et à Santiago, la capitale, en présence de la plupart de chefs d’État latino-américains et du vice-président des États-Unis Joe Biden ainsi que de quelques représentants du Vieux Continent et des autres pays du monde. Le président vénézuélien Nicolás Maduro avec un pays en crise a choisi de ne pas y assister et de se faire représenter par son Ministre des Affaires étrangères.
Michelle Bachelet revient à La Moneda avec l’engagement d’accomplir le plus urgent de ses 50 promesses de campagne au cours des 100 premiers jours de son mandat. Elle est soutenue par la coalition Nueva Mayoría (Nouvelle Majorité) formée par les partis qui avaient intégré la Concertation démocratique (Parti socialiste, Parti pour la Démocratie, Démocratie chrétienne, Parti radical et indépendants) auxquels s’est ajouté le Parti communiste.
Michelle Bachelet a déclaré, dans le discours qui a suivi son investiture depuis le balcon de La Moneda et devant un public enthousiaste, qu’elle avait pleine conscience de la responsabilité qui l’incombait pour ce deuxième mandat. En effet, la présidente élue, entame ce mardi 11 mars 2014 un mandat de quatre ans, bien décidée à opérer les “profondes transformations” dont a besoin son pays en proie à de fortes inégalités.
Pour elle le principal adversaire du Chili est l’“inégalité” et elle s’est engagé à “faire du Chili un pays plus juste et plus inclusif”. Le pays, dont l’économie a cru à un rythme annuel supérieur à 4 ou 5 %, connaît un développement spectaculaire depuis vingt ans. Ce qui a permis des avancées considérables sur la voie d’une éradication de l’extrême pauvreté. Cependant les inégalités persistent parmi ses 16,6 millions d’habitants. Elles furent au cœur du mouvement de contestation étudiante de ces trois dernières années.
Réformer en conservant le sérieux budgétaire
Son programme est fondé sur une révision de la Constitution de 1980 héritée de la dictature, ainsi que sur une réforme fiscale envisageant une augmentation de l’impôt des sociétés de l’ordre de huit milliards de dollars (3 % du PIB) destinée notamment à une refondation du système éducatif et à l’amélioration du système de santé et des services publics. Michelle Bachelet, à qui la Constitution interdisait de briguer un deuxième mandat consécutif en 2010 malgré sa forte popularité, s’est toutefois engagée à maintenir le sérieux budgétaire qui caractérise le Chili depuis le début des années 1990.
La mise en œuvre de ses projets dépendra en grande partie du rapport de forces au sein du Congrès. Sa Nueva Mayoria (Nouvelle Majorité) a remporté les législatives qui se sont déroulées en même temps que le premier tour, sans toutefois atteindre la majorité absolue. Or, si la majorité simple suffit à modifier la fiscalité, une majorité qualifiée est en revanche requise pour réformer l’éducation et la Constitution. Quant à la droite chilienne, elle avait réalisé le plus mauvais score de son histoire lors des élections présidentielles et législatives. Elle a également souffert de l’impopularité du président sortant Sebastián Piñera.
De nombreux défis
Michelle Bachelet fait face à de nombreux défis pour son retour à la Moneda, qu’elle avait quitté en 2010 avec un taux de popularité record. Elle succède au conservateur Sebastian Piñera, qui quitte le pouvoir avec un bilan contrasté. Rompant avec le style figé de la classe politique traditionnelle, cette médecin de formation, ancienne ministre et ex-directrice de l’ONU-Femmes, mère de trois enfants et grand-mère, s’est notamment fortement engagée en faveur de l’amélioration des droits des femmes dans un pays très conservateur, où l’avortement, même thérapeutique, est interdit et où le divorce n’a été légalisé qu’en 2004. Élue le 15 décembre dernier avec une ample votation, presque 20 points devant sa rivale de droite Evelyn Mattei, la nouvelle présidente a promis de mener “enfin” à bien “de profondes transformations” pour réduire les importantes inégalités sociales et développer le pays “de façon plus équitable”.
Des attentes fortes
La leader socialiste s’est fixé des objectifs ambitieux, pour un pays un peu essoufflé par le ralentissement de l’économie mondiale, un recul des investissements et la baisse des prix du cuivre, dont il est le premier producteur au monde. Mais l’économie chilienne reste globalement solide, avec une croissance entre 3,75 % et 4,75 % prévue pour 2014. Mais c’est dans le domaine de l’éducation, alors que des dizaines de milliers d’étudiants n’ont pas accès à un enseignement gratuit et de qualité, que les attentes sont les plus grandes. Les nouveaux leaders de l’influent mouvement étudiant, fort du soutien des centaines de milliers de jeunes descendus dans la rue lors des manifestations massives, avaient exprimé leur méfiance vis-à-vis de Michelle Bachelet et avaient appelé à ne pas voter lors des élections.
Reconnaissant elle-même les difficultés à venir, la présidente socialiste avait mis en garde les impatients au lendemain de sa victoire aux élections. Lors de son premier discours de future présidente, elle s’était déjà interrogée : “Mais quand a-t-il été facile de changer le monde ?”
Ambiance festive à Santiago
Les sympathisants sont arrivés tôt pour entendre le discours de la Présidente devant le palais présidentiel de la Moneda portant des drapeaux chiliens et de différents partis politiques de la coalition de la Nueva Mayoría scandant des consignes. Dans la soirée, aux environs de 19 h, la nouvelle équipe de gouvernement quittait la place de la Constitution, salués par la foule alors qu’un journaliste racontait l’histoire de Michelle Bachelet et les grands défis qui l’attendaient. Après avoir salué ses 23 ministres et que la garde du Palais lui a rendu les honneurs, la présidente est rentrée à La Moneda. Devant l’arrivée massive des personnes qui l’applaudissaient, les carabiniers ont élargi le périmètre de sécurité pour permettre au public d’écouter son discours.
Michelle Bachelet depuis les balcons de La Moneda a réitéré ce mardi 11 mars son engagement pour une réforme constitutionnelle, tributaire et éducationnelle telle qu’annoncée dans son programme de gouvernement. Dans ses premiers mots, la Chef de l’État a rappelé qu’il y a quatre ans elle avait traversé la même porte pour quitter ce palais de la présidence et qu’elle revient à nouveau par la même porte. « Nous allons tous ensemble mener à bien le programme de gouvernement et nous le ferons dans le dialogue avec les forces politiques et sociales du pays. Mais un dialogue dont l’objectif est d’avancer pour accomplir notre programme.” Et elle a ajouté “nous croyons qu’il peut y avoir un Chili différent et beaucoup plus juste. Je veux que le jour où je quitterai cette maison, vous sentiez que la vie a changé en bien pour vous. Que le Chili ne se réduit pas à une liste d’indicateurs ou statistiques, mais qu’il doit être une meilleure patrie pour y vivre, une société pour son peuple dans sa totalité.”
Elle a souligné dans ce sens, l’importance de la réforme de la Constitution, du système éducatif et de la fiscalité. “Je sais de première main ce que l’éducation publique peut offrir à une personne. Je suis fille de cette éducation publique et mon engament est qu’au Chili nous ayons tous les mêmes égalités de chance” a-t-elle indiqué. “Je connais ce que signifie de se battre pour une patrie libre, sans entraves autoritaires, où une minorité oppose son veto contre la majorité. Mon engagement est donc que cette Constitution soit une Constitution née en démocratie” a-t-elle dit avec énergie.
Olga BARRY