Le décor est sinistre sous le soleil. Tout se passe au cœur d’un désert écrasé de chaleur. Ou plutôt rien ne se passe. Tout est immobile. Des quatre personnes présentes, une seule parle beaucoup, c’est son métier. Le Révérend Pearson attend que le garagiste du coin, le Gringo Brauer, répare sa voiture tombée en panne. Leni, la fille de Pearson, et Tapioca, le fils (adoptif ?) de Brauer, adolescents tous eux, dont les destins sont assez comparables, observent cette immobilité, s’observent…
Les heures passent, chacun joue son rôle, le Révérend parle du Christ, Brauer bricole le moteur en évitant de répondre à l’homme de Dieu. Leni se rebelle timidement contre l’autorité de son père et José Emilio (le vrai nom de Tapioca) découvre en silence que le monde existe en dehors de la station-service.
Peu à peu, au-delà des apparences, la jeune romancière, maîtrisant de façon étonnante un récit forcément chaotique, forcément statique aussi, donne des informations troublantes qui fissurent tout doucement ces clichés dans lesquels nous étions prêts à nous installer : un décor vu des dizaines de fois, dans des films nord-américains, des personnages déjà croisés, croyions-nous… Et la surprise est au rendez-vous.
C’est une lecture qui se fait dans une espèce de vertige : qu’y a-t-il de vrai dans ce qui est montré, dans ce que disent les quatre personnages, dans ce qu’ils croient : la foi du révérend, par exemple devient un mystère équivalent à celui offert ou imposé par sa religion. Et le lecteur, dans tout cela, il est bercé par le doute, peut-être aussi par un espoir : comme disait Brel à ses débuts : « et si c’était vrai ? »
Selva Almada se révèle dans ce premier roman comme une magnifique manipulatrice : n’est-ce pas une des fonctions de base du romancier ? Par-dessus ce désert, ces quelques personnes, cette vingtaine de chiens qui traînent, on sent un souffle mystérieux, Dieu ? Mais quel Dieu ? Celui du Révérend ou cet être désincarné auquel le Gringo Brauer ne veut pas croire, mais qu’il pressent toutefois ? Tout dans ce magnifique livre est si limpide et si complexe, si évident et si étrange.
Martine ROINAT
Selva Almada : Après l’orage, traduit de l’espagnol (Argentine) par Laura Alcoba, Métailié, 134 p., 16 €.
Selva Almada en espagnol : El viento que arrasa (2012, Mardulce Buenos Aires) / Ladrilleros, Mardulce, 2013.