L’année 2014 est une année d’élections présidentielles en Amérique : la Colombie et le Panama en mai, l’Uruguay et le Brésil en octobre, la Bolivie en décembre. Mais les premiers pays à élire leurs présidents furent le Salvador et le Costa Rica, le 2 février.
Le Costa Rica : la surprise
Le PLN (Parti de libération nationale, droite) a traditionnellement dirigé le Costa Rica. Tout le monde donnait son candidat, Johnny Araya, maire de la capitale San José, gagnant d’avance, le deuxième tour devant l’affronter à un candidat surprise, José Villalta, du Front Ample (FA), résolument à gauche et donné vainqueur dans un des sondages. Cela faisait longtemps qu’un candidat de gauche n’avait plus eu la possibilité de gagner des élections dans ce pays plutôt conservateur. Les autres sondages signalaient Luis Solis du Parti action citoyenne (PAC, centre, une dissidence du PLN) en troisième position, loin derrière.
Mais c’est Luis Solis du PAC qui crée la surprise : au premier tour des élections, il passe en tête avec quelques milliers de voix d’avance sur Araya, Villalta n’obtenant que la troisième place. Il faut dire que ce dernier fut l’objet d’une campagne classique de la droite : faire peur ! Le PLN l’a accusé de « communiste », de « chaviste », et déclaré que Villalta voulait que le Costa Rica se joigne à » l’ALBA gauchiste »(1), etc.
Cette campagne de dénigrement idéologique a réussi puisque Villalta n’a obtenu que 17 % des voix mais Araya n’avait pas compris que les Costaricains étaient également très mécontents de la présidente sortante, Laura Chinchilla, de son propre parti « qui a été incapable de réduire la pauvreté ». C’est aussi elle qui avait signé le traité de libre commerce avec les États-Unis, ce genre de traité ne bénéficiant pas vraiment au peuple comme l’ont déjà découvert d’autres pays. Les électeurs ont donc voté pour Luis Solis. Cet historien et politologue de 56 ans se dit « progressiste mais pas de gauche », veut prendre ses distances avec le néolibéralisme sauvage et donne comme modèle « le président Lula du Brésil et n’importe quel pays capitaliste moderne avec justice sociale », ce qui lui fait préférer « la Finlande comme société pour son éducation, sa distribution des richesses, d’inclusion des citoyens « . Son objectif : « arrêter l’augmentation des inégalités sociales tout en restant dans le centre idéologique »(2). Il se dit favorable à une révision du traité de libre commerce avec les États-Unis auquel il s’était opposé mais se démarque clairement de l’ALBA (1) qu’il ne veut pas rejoindre. Pour Villalta, « la lutte est maintenant entre la droite qui vole et la droite qui ne vole pas » ! Deuxième tour, le 6 avril.
Luis Solis (PAC, Parti action citoyenne, centre) 30,95 % /Johnny Araya (PLN, Parti Libération nationale, droite) 29,59 % /José Villalta (FA, Front Ample, gauche) 17 % / Otto Guevara (ML, Mouvement libertaire, centre droite) 11 % / Rodolfo Piza (PUSC, Parti unité social chrétien, droite) 6 %
Analyse
Les jeux semblent faits puisque même si les 11 % du ML votent PLN, il est probable qu’une grande partie de l’électorat du FA votera pour Solis, le candidat social démocrate. Celui-ci, visage jusqu’alors inconnu dans la politique nationale, a su se maintenir hors des polémiques droite-gauche Araya-Villalta et se présenter comme un modéré. Ce n’est pas un virage à gauche, loin de là, mais l’électorat s’éloigne clairement d’une droite qui n’a pas pu résoudre des problèmes sociaux qui commencent à toucher ce pays longtemps considéré comme « la Suisse » des Amériques. À noter que le FA sera très présent au Parlement car de un député, il passe à neuf !
Le Salvador : le FMLN de nouveau ?
Au pouvoir depuis 2009, le FMLN de Salvador Sánchez Cerén (Front Farabundo Marti de libération nationale, gauche) a largement battu son adversaire Normán Quijeno de ARENA (Alliance républicaine nationaliste, très à droite) par 48 % des voix contre 38 %. L’ancien président Elías Saca du parti Unidad (trois petits partis de droite) arrive loin derrière avec 11 %.
Sánchez Cerén est un professeur de 69 ans qui fut ministre de l’Éducation du précédent gouvernement FMLN. Il fut membre du commandement supérieur de la guérilla pendant la guerre civile (1980 à 1992) qui opposa par les armes le FMLN et l’ARENA soutenue par les États-Unis, et un des principaux promoteurs d’un dialogue pour une fin de la guerre débouchant sur les Accords de paix de 1992.
Normán Quijano, un dentiste de 68 ans, est membre de ARENA depuis 1983 avec un discours très anti-communiste. Elías Saca, ancien président pour ARENA, en fut expulsé pour disputes internes. Ses 11 % de votes feront toute la différence lors du second tour le 9 mars. Il vient de faire savoir qu’il « ne soutenait aucun des deux partis en lutte » et qu’il « laissait ses militants décider eux-mêmes pour qui ils allaient voter ». On peut donc encore s’attendre à des surprises…
Sánchez Cerén (FMLN, gauche) 48,8 % / Normán Quijano (Arena, très à droite) 38,9 % / Elías Saca (Unidad, centre droite) 11,4 %
Analyse
Si le Parti Unidad avait décidé de voter pour l’ARENA, il est très probable que cette dernière l’aurait emporté de justesse. Le fait que l’ancien président Saca « laisse ses militants décider » est une façon de ne pas soutenir l’ARENA tout en ne poussant pas à soutenir le FMLN. Les présidents des trois petits partis conformant la Unidad ont suivi leur candidat et laissé leurs membres décider. On peut dès lors penser que le FMLN l’emportera.
Le succès du FMLN se doit certainement en partie au fait que le gouvernement a réussi à convaincre les « maras » (3) de faire une trêve dans leurs violences, faisant tomber celles-ci de moitié. Au lieu des 10 ans de politiques de « main dure » contre la violence des gouvernements ARENA qui n’ont eu aucun succès, Cerén propose « la main intelligente » avec des programmes d’insertion sociale mais une « main ferme » avec les récidivistes.
Il est à noter que les deux candidats présidentiels ont été invités (séparément) à rencontrer l’ambassadrice des États-Unis, Mari Carmen Aponte, qui dit « maintenir une position de neutralité » et vouloir « une relation forte et productive » entre les deux pays « quel que soit le président élu ». L’ambassade faisant savoir qu’il s’agissait de « conversations privées », il n’y a eu aucun communiqué décrivant les sujets de ces conversations…
Jac FORTON