Le charisme de Michelle Bachelet, le soutien de divers partis de gauche et une certaine débandade de la droite ont permis une nette victoire de la Nouvelle Majorité. Une abstention élevée. Une percée des communistes. L’Assemblée Constituante définitivement sur l’agenda politique.
La Nouvelle Majorité de Michelle Bachelet
La défaite de la Concertation en 2009 en faveur de la droite après 20 années de gouvernement avait secoué la coalition considérée comme de centre gauche composée des partis PS, DC, PRSD et PPD (1). La corruption, le clientélisme et la présence constante des “vieux dinosaures” autant que l’usure normale du pouvoir avaient permis à la droite de revenir au pouvoir via les urnes pour la première fois depuis 1964 ! Pour reconquérir la faveur des électeurs, la Concertation se devait de recomposer une coalition crédible et une candidature présidentielle attractive pour l’électorat. Avec l’entrée des Partis communiste, de la Gauche citoyenne, Force du Nord et Mouvement Ample social, la Concertation est devenue la Nouvelle Majorité (Nueva Mayoría, NM).
Bien que la Concertation ait été rejetée par les électeurs de 2009, l’ancienne présidente Michelle Bachelet (2005-2009) avait quitté son poste avec près de 70 % de soutien populaire ; elle était la seule à pouvoir mener la NM à la victoire. Elle obtint 70 % des voix de la primaire devant déterminer la candidature de la Nouvelle Majorité.
L’Alliance pour le Chili : débandade à droite
La nette défaite de la droite a plusieurs causes. Composée des Partis Rénovation Nationale (RN, droite modérée) et Union Démocratique Indépendante (UDI, pinochétiste), l’Alliance a dû affronter plusieurs problèmes. Elle a d’abord changé plusieurs fois de candidats présidentiels officiels : après le désistement de deux candidats, c’est finalement Evelyn Matthei (UDI) qui fut proposée. Mais Matthei avait de gros boulets aux pieds. D’abord, la UDI a un intense passé pinochétiste qu’elle continue à revendiquer. Alors que plusieurs cadres de RN ont récemment reconnu qu’il y a bien eu dictature, crimes indéfendables et silences inacceptables, Matthei a continué à défendre fermement ‘l’œuvre’ et les ‘politiques du gouvernement militaire’. Ensuite, son père, le général Fernando Matthei, était commandant de la base aérienne dans laquelle le père de Michelle Bachelet, le général Alberto Bachelet, était torturé à mort ; Matthei n’avait rien fait pour le sauver alors qu’ils étaient considérés comme ‘amis’. Finalement, Evelyn Matthei a fait quelques déclarations fracassantes contre les propositions des autres candidats présidentiels. Elle a aussi déclaré “être dans la continuité du gouvernement”, alors qu’on ne peut pas dire que le Chili a vraiment progressé pendant le mandat de Sebastián Piñera (RN). Il avait été élu sur une réputation d’homme d’affaires qui construirait un Etat efficace mais il a finalement tout simplement appliqué les vieilles recettes néolibérales, celles que dorénavant le peuple rejette. Tout cela a passablement troublé et démotivé l’électorat de droite qui a un peu boudé les urnes…
Les propositions alternatives
En plus des deux coalitions habituelles, sept candidats offraient une variété de propositions programmatiques. La troisième place revient au Parti Progressiste de Marco Enríquez Ominami qui voit son électorat diminuer de près de moitié par rapport aux 20 % obtenus il y a quatre ans. La surprise est le résultat de l’économiste Franco Parisi qui a eu des mots très durs pour Matthei, une “ femme méchante” ! Le Parti Communiste fait, avec ses six députés, une entrée remarquée au Parlement dans le cadre de la Nouvelle Majorité. Parmi eux, deux des cadres étudiants qui avaient organisé les manifestations des années 2011 et 2012 pour une éducation gratuite, Camila Vallejo et Karol Cariola. Deux autres leaders étudiants ont également été élus députés. Le candidat Marcel Claude, soutenu par le Parti Humaniste, est un peu déçu de son score (2,8 %) : “Malheureusement, le pays dans lequel nous vivons n’a pas pu se défaire des attaches que sont le marché et les pratiques mercantiles… Mais si nous n’avons pas pu obtenir une expansion de la conscience politique qui nous aurait permis de renverser les processus politiques vécus aujourd’hui, nous avons réussi à installer des thèmes dans le débat et surtout, une façon de faire de la politique… ”
Le thème de l’Assemblée Constituante
Le Chili est toujours aujourd’hui, régi par la Constitution imposée par le général Pinochet en 1981. Elle a été plusieurs fois amendée pour en retirer les aspects les plus autoritaires (sénateurs désignés, sénateurs à vie,…) mais pour de nombreux secteurs, il s’agit bel et bien d’une Constitution créée pour promouvoir le néolibéralisme et maintenir un faux équilibre entre les deux grandes coalitions. Depuis 2006, les étudiants sont dans la rue pour exiger le droit à l’éducation et non la ‘liberté d’enseigner’ comme l’affirme la Constitution, ce qui a mené à ce que l’éducation soit devenue un négoce, par ailleurs très juteux. Ils réclament une éducation gratuite pour tous mais pour cela il faut modifier la Constitution, et pour modifier la Constitution, il faut les 2/3 du Congrès ce qui est à jamais impossible étant donné le système électoral actuel. Les étudiants, maintenant suivis par de nombreux secteurs de la population réclament la mise sur pied d’une Assemblée Constituante (AC) dans le but de rédiger une constitution véritablement démocratique. Leur demande a été entendue : 8 % des électeurs ont oser apposer les lettres AC sur leur bulletin de vote et plusieurs candidats présidentiels ont repris cette demande dans leur programme.
Les dégâts du système binominal
Les résultats parlementaires auraient pu devenir encore plus dramatiques pour la droite qui sauve bien des sièges grâce au système binominal inventé par Jaime Guzman, un juriste devenu l’idéologue de Pinochet. Selon ce système, chaque circonscription élit deux députés et deux sénateurs. Ce ne sont pas les deux candidats ayant obtenu le plus grand nombre de voix qui gagnent. Le candidat du parti A qui a le plus de voix dans la circonscription remporte le premier siège. Mais pour que le deuxième siège soit remporté par le même parti, il ne faut pas que le deuxième candidat du parti A ait plus de voix que le premier candidat du parti B, il faut que le total des voix des deux A fasse plus du double du total des voix du parti B. Pratiquement, cela signifie qu’avec 35 % des voix, le parti B peut obtenir autant de sièges que les 65 % du parti A et que les coalitions peuvent éliminer les candidats individuels ! Par exemple, Marisela Santibáñez du parti Progressiste, n’appartenant ni à la Nouvelle Majorité ni à l’Alliance est, avec 26,75 % des voix, la première majorité dans la 30e circonscription. Elle n’a cependant pas été élue car sa liste totalise moins de voix que le total des voix de la première des autres coalitions…
Pourquoi un tel taux d’abstention ?
Depuis peu, le vote n’est plus obligatoire au Chili. Les 50 % d’abstention peuvent s’expliquer par le sentiment général que les dés étaient déjà jetés et que Michelle Bachelet ne pouvait que gagner. Mais une autre raison avancée par certains analystes est qu’il est clair que, si la Nouvelle Majorité propose d’apporter quelques réformes, elle ne va pas secouer le modèle économique. Le soutien surprenant de centrales patronales importantes à Michelle Bachelet s’explique peut-être par le fait que la droite économique considère que la Nouvelle Majorité est plus près du centre droit que de la gauche alors que la droite n’a plus ni route ni gouvernail visibles. Cela vaut bien d’accepter quelques réformes… D’autres analystes ajoutent que la fin du vote obligatoire depuis peu aurait aussi eu un impact, de nombreux secteurs estimant que ni Bachelet ni Matthei n’allaient vraiment engager de réformes structurelles. Alors à quoi sert de voter…
Les réactions
Les promesses électorales de Michelle Bachelet ont certainement convaincu de nombreux électeurs: les trois grands axes de son programme sont une réforme constitutionnelle (peut-être vers une Assemblée Constituante ?), une réforme éducative et une réforme fiscale permettant de financer l’éducative. “Dans un mois, le Chili votera pour deux modèles de pays : le changement ou la continuité… ”, dit-elle. Depuis 2006 (donc lors de son précédent mandat), les étudiants du secondaire et des universités réclament une éducation gratuite et de qualité pour tous. Ces revendications ont été reprises par un large secteur de la population qui voit dans une école chère et une éducation basée sur un modèle régi par le marché et les profits, les raisons de l’élargissement des inégalités. Le deuxième tour des élections présidentielles aura lieu le 15 décembre.
Jac FORTON