Le narrateur, Eduardo (comme Halfon) fait par hasard la connaissance d’un pianiste prodige, Milan Raki à Antigua, au Guatemala. Avant et après le concert ils parlent longuement, en particulier des origines du pianiste, serbe par sa mère et tsigane par son père, du métissage aussi de sa musique (le concert était classique, mais l’attirance naturelle de Milan le porte vers son côté gitan). Les origines d’Eduardo sont elles aussi plurielles, et cette dualité qu’ils partagent ne fait que compliquer leur propre perception d’eux-mêmes, ce qui les rapproche de façon à la fois naturelle et assez mystérieuse. À la suite de cette unique rencontre Milan envoie de façon irrégulière mais répétée, des cartes postées des différentes étapes d’un long parcours (engagements professionnels ou errance personnelle, il ne le dit pas). Un jour l’envoi de ces messages pleins de poésie et de mystère s’arrête net et Eduardo décide de partir à la recherche de son ami d’un jour. Dans un Belgrade hivernal, il va à son tour errer, non dans le monde mais dans une ville.
Le roman tout entier est une quête, une quête aussi peu solide que cette idée que chacun des deux hommes se fait de lui-même : Milan est-il un pianiste classique ou n’est-il qu’un gitan qui a fini par se laisser disparaître au milieu des siens ? Eduardo est-il ce professeur bien installé dans sa vie personnelle ? C’est bien à la recherche de cet homme qu’il n’a vu qu‘une seule fois qu’il part, mais c’est peut-être surtout à la recherche du sens du mot pirouette, le dernier mot de la dernière carte envoyée par Milan.
Eduardo Halfon excelle dans la création d’ambiances brumeuses, de situations fragiles, de personnalités remplies de doutes malgré leur réelle force. On garde de cette lecture une subtile impression de charme un peu douloureux.
Christian ROINAT
Eduardo HALFON : La pirouette, traduit de l’espagnol (Guatemala) par Albert Bensoussan, éd. Quai Voltaire, 172 p., 17 €