Si l’humanité souhaite surmonter la menace de la désinformation organisée et le populisme digital sans précédent, le Brésil est un bastion essentiel à préserver.
Photo : Expansion
« Les pays d’Amérique latine ont des tribunaux secrets qui peuvent ordonner aux entreprises de retirer discrètement des choses ». La déclaration de Mark Zuckerberg quand il a annoncé, entre autre, que Meta mettrait fin à la vérification de données aux États-Unis, n’était en aucun cas accidentelle. On pourrait prendre cela comme un message indirect fait au Brésil, et il révèle à quel point les yeux de certains des hommes les plus puissants du monde sont rivés sur le Brésil.
L’année dernière, La Cour Suprême fédérale du Brésil a interdit X pendant 40 jours, à cause d’une loi qu’Elon Musk refusait de respecter : n’importe quelle entreprise internationale qui opère dans ce pays doit avoir un représentant légal basé dans le même pays. Quand X a ressentit l’impact de se retrouver sans l’une des bases d’utilisateurs les plus importantes et les plus actives au monde, Musk a abandonné.En plus des grands magnats de la technologie, Donald Trump a aussi les yeux rivés sur le Brésil. Au fil des derniers jours de 2024, le président élu a sollicité la Cour Suprême pour mettre fin à une loi qui interdisait TikTok aux États-Unis. Le Brésil est de nouveau apparu, cette fois afin de justifier l’affirmation de Trump. Se faisant l’écho de Zuckerberg et de Musk, Trump a adopté la faux récit de la censure diffusée par les politiques d’extrême-droite brésiliennes en lien avec l’ex-président Jair Bolsonaro, pour déformer les raisons qui ont amenés à l’interdiction temporaire de X.
« Autre grande démocratie occidentale, le Brésil a fermé définitivement une autre plateforme des réseaux sociaux, X (connue avant comme Twiter), pendant plus d’un mois, apparemment dû au souhait de ce gouvernement de supprimer le discours politique défavorable », d’après la pétition émise en décembre 2024.
« Vous allez perdre les prochaine élections » a déclaré pour sa part Elon Musk. En novembre, la première dame du Brésil s’est retrouvé dans une dispute sur les réseaux sociaux avec Musk lui-même. Lors d’une table ronde sur la désinformation la veille du sommet de la conférence du G-20, Rosângela Janja da Silva a défendu la nécessité d’une régulation plus ferme des réseaux sociaux quand elle a entendu un grand bruit et elle a dit « Je crois que c’est Elon Musk ». Puis, elle a ajouté : « Je n’ai pas peur de toi. Va au diable, Elon Musk ! ». Le propriétaire d’X a répondu sur son réseau social : « Vous allez perdre la prochaine élection ». L’altercation et les mentions du Brésil faites par Zuckerberg, Musk et Trump démontrent à quel point le Brésil est important pour eux et chaque journaliste qui couvre les guerres de l’information devrait faire de même. Après le retour de Trump, le Brésil suit. Pendant ces dernières années, une série de crise ont eu lieu dans ce pays où 84 % de la population (soit 212 millions de personnes) utilise internet et où, d’après l’Institut Reuters Digital News Report, 74 % lisent les informations en ligne.
Tout comme les États-Unis, le Brésil a été le témoin de comment un groupe de politique faisait usage de la désinformation comme moyen pour gagner du pouvoir et attaquer ces ennemis, la presse et d’autres institutions. Menées par l’ancien président Jair Bolsonaro, plusieurs campagnes de désinformation minutieusement conçues ont réussi à éroder le soutien populaire au système électoral et à porter des soupçons sur la possibilité d’une fraude lors des élections de 2022. L’ancien président et ses partisans ont utilisé le cri des « fake news », pour attaquer la Cour Suprême et le Tribunal Électorale et pour inciter une insurrection qui a essayé de renverser le gouvernement de Luiz Inácio Lula da Silva récemment élu. Les similitudes entre l’invasion du Capitole des États-Unis le 6 janvier 2021 et l’assaut des bâtiments gouvernementaux au Brésil le 8 janvier 2023 sont tellement surprenants que n’importe qui dirait que les deux leaders, Trump et Bolsonaro, ont suivi le même manuel pour perturber les élections légitimes.
Mais, après l’échec de la tentative du coup d’état, le Brésil a pris un chemin totalement différent. Tandis qu’aux États-Unis le système judiciaire s’est lentement mobilisé, la Police Fédérale du Brésil a monté un dossier solide contre Bolsonaro, avec des milliers de messages, documents et témoignages qui témoignent dans le sens de l’accusation faite contre l’ex-président sur son rôle sur la tentative du coup d’état. Mais, bien avant déjà en 2023, Bolsonaro avait interdiction de se représenter comme candidat. En février 2024, son passeport a été confisqué et il n’a pas pût fuir du pays. Bolsonaro a adopté un narratif dans laquelle il s’érige comme victime d’un Tribunal Suprême « autoritaire » qui veut censuré sa liberté d’expression.
Pendant ce temps, les journalistes brésiliens ont beaucoup appris sur la manière dont les populistes digitaux emploient la manipulation médiatique, pour détruire la démocratie. Ils ont adapté diverses stratégies afin de faire front aux campagnes de désinformation. Ils savent désormais comment identifier rapidement une campagne de fausses informations en ligne et ses principaux responsables et comment réduire l’utilisation des principaux modes de communication pour les faire circuler. D’autres institutions ont aussi tentés de contre-attaquer. De nouveau dans une direction distincte à celle des États-Unis, le Congrès brésilien a répondu le 8 janvier tentant de réguler les grandes entreprises technologiques, afin d’améliorer les garanties des utilisateurs et d’établir la responsabilité de ces entreprises pour les contenus délictueux diffuser par leurs algorithmes. Cette mesure était considérée comme cruciale pour les priorités de ces plateformes car le Brésil est un de leurs meilleurs marchés. Cependant, la législation a résulté être bloquée à cause des intérêts commerciaux. Google a réussi à utiliser sa page de recherche, que 90 % des utilisateurs d’internet au Brésil utilise, pour affirmer que le projet de loi « aggraverait internet ».
C’est à ce moment-là qu’Elon Musk est entré en scène face à la Cour suprême brésilienne. Redoublant d’efforts dans une situation politique déjà explosive, Musk a décidé d’affronter la Cour suprême au début de l’année 2024 et d’accuser son juge le plus éminent, Alexandre de Moraes, de « censure », après avoir refusé de suspendre les comptes qui diffusaient de la désinformation et des menaces contre les autorités. Sur la base de sa prétendue défense « absolue » de la liberté d’expression, Musk s’est joint à l’alt-right brésilienne en qualifiant Moraes de « dictateur ». L’impasse s’est intensifiée avec la fermeture des bureaux de X au Brésil, suivie de la suspension de la plateforme dans tout le pays pendant plus d’un mois.
Mais, à l’instar de la Cour suprême, le gouvernement fédéral n’a pas reculé dans ses efforts pour s’attaquer aux géants de la technologie. En novembre 2024, le gouvernement de Lula a dirigé la réunion du G20 et a réussi à inclure dans la déclaration finale, signée par plus de 80 pays, la nécessité de réglementer les réseaux sociaux et l’IA. Alors qu’il est peu probable que la réglementation des Big Tech progresse aux États-Unis de Trump, le Brésil, la deuxième plus grande démocratie de l’hémisphère, a une société civile et une presse libre qui ont compris l’urgence d’établir des règles dans le Far West numérique.
Malheureusement, nous savons aussi que ce ne sera pas facile et que les oligarques technologiques comme Musk continueront à accorder une attention particulière au Brésil. Ils savent que ce qui se passe ici pourrait influencer toute la région, et peut-être le monde. Il s’agit d’une bataille pour l’avenir de l’intégrité de l’information, du journalisme et de la démocratie. Si l’humanité veut surmonter la menace sans précédent de la désinformation militarisée et du populisme numérique, le Brésil est un bastion essentiel. C’est pourquoi une prédiction pour le journalisme en 2025 – ou peut-être est-ce un vœu – est que tous les yeux des médias du monde entier seront dirigés vers ce qui se passe au Brésil.
Traduit par Massengo Maryssa
D’après Open Democracy