L’art au Venezuela – La situation actuelle est critique

Les pannes d’électricité sont fréquentes depuis 2019 et les spectateurs, attentifs et dans l’expectative, approchent Les œuvres d’art en utilisant de petites lanternes qui permettent une vue fragmentaire des échantillons, mais, en même temps, nous offrent une vision complète du pays : une sorte de caverne, d’obscurité, avec des aperçus lumineux, espoir de liberté. Cette situation a produit des changements dans la circulation des œuvres d’art et, par conséquent, dans la production du travail critique. Les difficultés sont considérables. Actuellement, nous pourrions distinguer trois types de restrictions :  celles provenant du démantèlement institutionnel des musées ; les persécutions et menaces contre la dissidence et l’auto-exclusion.

En régime de démocratie, les institutions culturelles, notamment les musées, avaient atteint un certain niveau d’excellence. En 1999, à son arrivée au pouvoir, le président Hugo Chávez avait trouvé un système institutionnel robuste, ainsi qu’un espace dynamique pour la circulation des œuvres et le marché de l’art dans un pays considéré comme un pôle régional de rayonnement des arts visuels. Un an plus tard, la dégradation a commencé, caractérisée par de sévères restrictions budgétaires, de mauvais traitements à l’endroit des professionnels, la confusion entre élitisme et refus de la médiocrité, l’imposition de personnels de direction et la décision de privilégier les expositions d’artistes pour leurs affinités politiques avec le régime chaviste.

La pression autoritaire dans les politiques de programmation s’est faite pesante. En moins d’un an, les musées ont montré des signes de dégradation institutionnelle et de détérioration de leurs infrastructures qui se sont considérablement accrues au fil des ans. Ces ruptures avec la situation qui prévalait auparavant a conduit à une paralysie des institutions, à des interférences idéologiques incessantes, à la fermeture de musées sans ressources, et à des musées privés des systèmes de protection efficace de leurs réserves et de procédures de conservation minimum des œuvres. La seule forteresse qui survit dans cet ordre obscurantiste institutionnalisé, est la qualité de professionnels qui tentent de résister à l’effondrement culturel.

Les critiques María Elena Ramos (La culture harcelée, Caracas, 2012) ; Roldán Esteva Grillet (País en Vilo, Caracas, 2017) et Manuel Silva Ferrer (Le corps docile de la culture, Caracas, 2017) ont fourni des connaissances éclairantes sur ces processus. Les restrictions provenant du démantèlement des musées empêchent le développement de la recherche, l’étude critique des collections des musées et le renforcement de leur fonction éducative. Toutefois, la censure n’est pas un processus exclusif de ces derniers temps au Venezuela. Le Portrait spirituel d’une époque (1968-1970) du Prix national des Arts plastiques 1991, Miguel von Dangel, a généré à son époque une controverse qui a conduit à l‘interdiction par l’Église de montrer cet assemblage qui donnait à voir un chien embaumé et crucifié. Nelson Garrido, prix National des Arts Plastiques 1991, a connu des fermetures de ses expositions dès le début de son parcours, du fait du caractère incisif de son œuvre questionnant les systèmes de pouvoir, la religion et le sexe.

En 2008, la série Pensamiento Único a fait l’objet de persécutions et de menaces plus formelles de la part de forces gouvernementales. De jeunes artistes comme Erika Ordosgoitti et Cristóbal Ochoa ont dû fuir le pays en raison de menaces d’emprisonnement pour leur participation active à des protestations, en 2014 et 2017. Francisco Bassim a également été persécuté pour ses collages numériques ─ une sorte de journal visuel portant sur le contexte social et politique vénézuélien. Des créateurs comme Carlos ZerpaSigfredo Chacón ou Rolando Peña, ont préféré l’exil aux obstacles mis à la circulation des œuvres d’art. Aujourd’hui, il est difficile de diffuser un discours critique et, bien que les artistes n’aient pas abandonné leur travail, le constat dans les quelques espaces d’exposition qui fonctionnent encore est que ce qui est exposé est moins belliqueux qu’il y a environ cinq ans. (…). 

Un artiste consulté pour écrire cet article a préféré ne pas révéler son identité mais il a déclaré très clairement que « Le gouvernement a proposé de générer la peur dans l’ensemble de la population et c’est ce qu’il fait. En effet, il y a de la peur. » Un autre artiste, sans accepter d’être identifié affirme : « la liberté d’expression est clôturée. La création signifie un défi aux rôles et aux normes, en les transgressant »« Il s’agit de la capacité de remettre en question et de redéfinir leur environnement, en s’éloignant des attentes que la société impose. Cela ne veut pas dire que nous ne travaillons pas dans les ateliers, mais dans les circonstances actuelles, il est difficile de diffuser notre travail. »

La création artistique et la critique naissent à partir de perspectives libres, sans enfermement dans les préjugés. Dotés des regards désarmés, les artistes vénézuéliens utilisent de nouvelles ressources, de nouvelles disciplines, de nouveaux supports et de nouvelles technologies pour produire un récit visuel puissant et une écriture incisive du social à travers l’image.  La majorité préfère garder le silence dans ses ateliers où subsistent les vestiges de la liberté créatrice….

Pendant la période de croissance et d’expansion des musées, les artistes étaient libres de présenter leur travail. L’essayiste et promoteur Nicomède Febres, dans sa chronique consacrée à la critique culturelle, y fait référence en soulignant que « les musées d’aujourd’hui sont des coquilles vides sans expositions importantes où sont montrés de manière démagogique des enfants ou des femmes au foyer, des prisonniers et d’autres groupes afin de marginaliser la culture et de minimiser la présence de  véritables artistes, dont beaucoup se sont exilés à la recherche d’un air meilleur et de plus grandes possibilités de travailler à l’extérieur et sans institution étatique compétente pour les promouvoir ».

Il n’y a plus de place pour la dissidence et les restrictions sont de plus en plus sévères pour les âmes indociles et leur appel à la différence. Cette situation a des conséquences pour l’exercice de la critique d’art en raison des limitations existantes dans la circulation de la pensée. Les galeries, centres culturels, espaces privés et alternatifs, ont créé des chemins non officiels pour la diffusion et l’attention aux courants artistiques : commissariats d’expositions, publications et nouvelles maisons d’édition. Mais ils choisissent tacitement de ne pas exposer d’œuvres à contenus hautement critiques.

Malgorzata Kazmierczak, présidente de l’AICA International, a déclaré récemment que « la critique d’art est une position envers la réalité et envers l’art, envers la politique culturelle de votre pays ; l’art fait toujours partie de la vie sociale et nous devons continuer à tout remettre en question ». C’est de cette liberté dont nous parlons : celle qui a un pouvoir transgressif. Nous sommes confrontés au dilemme de la préserver dans l’exercice de la pensée, sous peine d’entrer dans l’étape douloureuse d’un art domestiqué.