Le retour de Trump à la tête de la plus grande puissance mondiale soulève des inquiétudes en Amérique latine et partout dans le monde. Le nationalisme exacerbé, le protectionnisme et les renoncements aux consensus scientifiques et aux accords internationaux essentiels pour l’humanité ont des adeptes en Europe mais aussi en Amérique latine. Faut-il prendre les engagements iconoclastes de Trump au sérieux ? Les réalités géopolitiques et économiques de 2024 auront-elles raison de son hubris ?
Photo : Journal Rosario
Avec l’élection de Donald Trump, le mois de novembre 2024 est annonciateur de bouleversements pour de nombreux pays dans le monde. « Les tambours de l’enfer » en Ukraine cesseront-ils de se faire entendre « en 24 heures », le 20 janvier 2025, comme l’affirme Trump, sans plus de dommages pour l’Ukraine et déboucheront-ils sur une paix juste pour le pays agressé ? Les intéressés en doutent. Toutes les chancelleries et les dirigeants gouvernementaux sont en état d’alerte depuis le 5 novembre car on sait le futur président Donald Trump capable de tout et de n’importe quoi, conforté par un Sénat et une chambre des Représentants alignés sur ses positions.
La « stratégie du fou » pratiquée par le président Trump lors de son premier mandat brouille toutes les prévisions raisonnables et rationnelles. De plus, les premières nominations et déclarations de ses futurs ministres et conseillers principaux ne rassurent guère. La Défense, la Diplomatie, l’Économie, le Commerce, la Santé sont aux mains de fidèles serviteurs et laissent entrevoir que le programme chamboule-tout et anti-scientifique de Trump pourrait être mis en œuvre sans frein politique intérieur majeur. Il faut donc le prendre au sérieux, « sans céder à la peur » disent les potentielles victimes de la politique annoncée, ce qui est le signe que les dangers sont loin d’être négligés.
Tout laisse penser que Trump mettra en œuvre tout ou partie de ses annonces selon un rythme aujourd’hui imprévisible. Les menaces ont trait aux expulsions massives de migrants latino-américains illégaux et même légaux qui vivent et travaillent aux USA depuis peu de temps ou depuis des décennies. Elles concernent l’accord de Paris sur le climat dont il veut sortir mais aussi la politique de réindustrialisation de l’Amérique à coups de barrières tarifaires au détriment du reste du monde, ennemis et alliés compris, sans parler des accords de défense avec des pays alliés et dans l’OTAN, indispensables à leur sécurité face aux menaces de l’impérialisme russe et chinois.
Sur le plan économique, les barrières douanières que le gouvernement américain entend élever pour toutes les importations de marchandises aux États-Unis entraineraient sans doute une saignée industrielle dans de nombreux pays, y compris en Europe, une envolée de l’inflation aux USA et ailleurs et un retour du chômage de masse avec des convulsions sociales et politiques qui mettraient à mal les démocraties dont les valeurs ne sont pas le souci majeur du président réélu. Le protectionnisme, la guerre à l’expansion commerciale chinoise et l’isolationnisme des États-Unis placeront l’Amérique latine en face des situations économiques et géopolitiques délicates.
L’emprise américaine est déjà contrecarrée par la puissance commerciale et industrielle chinoise et l’Amérique du Sud est de moins en moins l’arrière-cour de son puissant voisin américain du nord. En effet, une situation nouvelle s’est installée au fil des ans avec le poids grandissant de la Chine et, dans une moindre mesure, de la Russie. En 2024, la Chine est le premier partenaire commercial de la plupart des pays d’Amérique latine et cette donne ne changera pas en 2025. Nombre de réunions multilatérales ont eu lieu en cette fin d’année 2024 et illustrent les dilemmes que de grands pays latinos affronteront dans les mois et années à venir.
Au mois de novembre, Lima accueillait les chefs d’État et représentants de vingt-et-un pays membres de l’Asia Pacific Économique Coopération (APEC). En parallèle, le Pérou recevait le président chinois Xi Jinpin pour une visite d’État pendant laquelle a été inauguré un gigantesque port en eau profonde à Chancay, à 75 kilomètres au nord de Lima, appelé à être un des premiers ports d’Amérique latine. L’investisseur principal est une entreprise chinoise et il mise sur les capacités de ce port à transporter plus directement vers la Chine les minerais extraits par des entreprises chinoises et non chinoises installées au Pérou et dans d’autres pays de la région.
Aujourd’hui, le Pérou, deuxième producteur mondial de cuivre, exporte 67 % de sa production vers la Chine qui avance ainsi dans son projet des « Routes de la Soie » (Le Monde, 15 novembre). Ce port aux capacités gigantesques pourrait-il servir de base à terme à la marine chinoise ? C’est une inquiétude des militaires américains. Au plan commercial, la réponse américaine ne s’est pas fait attendre. Un conseiller de l’équipe de transition du président Trump, Mauricio Claver-Carone, a fait entendre qu’une taxe douanière de 60 % serait appliquée aux produits que ce port expédierait vers les Etats-Unis, une mesure qui fragiliserait la viabilité de ce projet géant en construction (El Comercio, 19 novembre).
Le Sommet du G20 qui s’est tenu à Rio les 18 et 19 novembre sous le signe du changement climatique et de l’objectif « pauvreté zéro dans le monde » est à la recherche de financements innovants. L’élection de Trump place dorénavant les États-Unis dans le camp des climato-sceptiques, des adversaires du multilatéralisme et des ennemis de toute initiative internationale qui entraverait la souveraineté nationale, surtout en matière fiscale. Or, l’un des projets de financement innovant porté par le président Lula Da Silva et nombre de pays développés, dont la France, serait de taxer les 3 000 plus grandes fortunes mondiales de manière mesurée mais avec une efficacité chiffrée à des centaines de milliards de dollars. On ne prend pas beaucoup de risque en avançant que ce projet ambitieux n’a aucune chance de prospérer sous la présidence Trump. Les populations victimes de la faim et du changement climatique attendront ou pas. Elles sont des centaines de millions, en Amérique latine, en Afrique et en Asie en particulier.
Au lendemain des résultats des élections aux USA, on attendait la réaction de la nouvelle présidente du Mexique, Claudia Sheinbaum, pays pourvoyeur, selon Trump, de « violeurs et d’assassins », insultes répétées à longueur de meetings durant la campagne présidentielle américaine. Bien que partenaire commercial privilégié des USA et du Canada, le Mexique aura des soucis économico-diplomatiques majeurs avec son puissant voisin. Si les engagements de Trump étaient tenus, l’expulsion de migrants mexicains en situation illégale concernerait cinq millions de personnes sur les dix millions de Mexicains vivant sur le sol américain.
Le montant des remesas (envois de fonds) des migrants mexicains vers leurs familles au Mexique en seraient affecté. Les remesas au bénéfice des familles mexicaines s’élevaient à 53 milliards en 2023 ; elles sont un des piliers de l’économie mexicaine avec les investissements directs américains et les échanges commerciaux. Les dirigeants du Mexique veulent « résister à la peur » car ils savent d’expérience que leur pays joue un rôle clé dans la construction du « mur » frontalier : les autorités mexicaines le complètent en retenant 800 000 illégaux dans leurs centres de détention. Le déploiement de militaires américains sur le sol mexicain pour combattre les cartels de la drogue est une autre menace de Trump que la présidente mexicaine écarte en évoquant la « liberté et la souveraineté » du Mexique.
Le monde avec Trump sera assurément différent et, pour l’heure, en Amérique latine comme en Europe, il suscite plus de craintes que d’espoirs dans la recherche de solutions aux problèmes majeurs de la guerre, de la pauvreté, de la justice et du climat. Aucun n’a de solution à la seule échelle nationale.
Maurice NAHORY