L’île de l’embargo yankee couplé à l’échec du régime castriste est frappée par la pire crise de son histoire. Réduction de rations alimentaires, répression et arrestations des opposants, coupures d’électricité, manque de carburant et de médicaments : des centaines de milliers d’insulaires fuient le pays. Migration record depuis l’exode post-révolution « libératrice » de 1959 et la « crise de Mariel » de 1980 en pleine guerre froide.
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« Nous n’avons pas un approvisionnement stable en carburant en ce moment… Nous nous tournons vers le marché international, et la facture pétrolière du pays s’élève à plus de 4 milliards de dollars par an. » Le 20 septembre, Vicente de la O Levy, ministre de l’Énergie et des Mines, a reconnu que le régime ne pouvait garantir la distribution de carburant sur tout le territoire. C’est encore une fois une épée de Damoclès pendue sur la tête du gouvernement, car dans ces conditions il s’avère de plus en plus difficile de garantir la continuité dans la distribution d’électricité, notamment en cas de panne dans les centrales thermoélectriques. Plongée dans une catastrophe énergétique inouïe en raison du manque de devises, la population souffre depuis quelques mois de longues coupures de courant qui peuvent durer plusieurs heures d’affilée, voire la journée entière. C’est une situation galopante à laquelle les insulaires se sont habitués progressivement depuis des années, mais en juillet dernier le président Miguel Diaz-Canel a finalement reconnu ce que tout le monde savait : il « était toujours incapable de résoudre le problème de la crise énergétique. ». Une crise qui menace de s’aggraver et qui s’est manifestée simultanément dans la capitale La Havane et plusieurs régions du pays.
Conséquence inévitable : le problème énergétique affecte le pompage d’eau vers les réservoirs des maisons. Le manque de courant électrique empêche également l’utilisation des fours pour la cuisson du pain. Cela risque de provoquer une crise sanitaire du fait que les gens se déplacent dans les rues, à la recherche de fours habilités pour la production, avec des chariots chargés de pâte crue exposée à la contamination de l’air. Ainsi, au manque de carburant et de médicaments, à la réduction de la production agricole, à une augmentation de la pauvreté dans un cadre inflationniste débridé, s’ajoute la pénurie de nourriture subventionnée. L’assistanat alimentaire a toujours existé depuis l’arrivée du clan Castro au pouvoir, mais le régime ne peut désormais fournir qu’un seul pain par personne et peu de denrées, comme le riz et le lait, ou même l’absence totale de yaourt, d’huile et de café. Pour se faire une idée, l’île a besoin de 3 000 tonnes de blé par mois pour assurer la production de pain rationné. Or, faute de financements, seulement 600 tonnes ont été achetées durant le mois de septembre selon le ministère responsable de l’industrie alimentaire. En conséquence, la ration de pain subventionné a été réduite de 80 à 60 grammes par jour (une baguette française pèse 250 grammes). « À Cuba, nous avons faim pour beaucoup de choses. Comment expliquer à un enfant qui vous dit qu’il a faim que vous n’avez rien à lui donner, car parfois il n’y a même pas d’eau pour tromper l’estomac. C’est très dur à vivre. Ce sont des enfants qui grandissent en pensant que la faim est quelque chose de naturel… », a déclaré à l’Agence France-Presse une retraitée qui, comme environ un million et demi de personnes âgées, reçoit une pension de 7 euros par mois en moyenne (un Cubain actif gagne autour de 15).
Contre cette situation alarmante, comme dans toute société qui a été poussée à l’extrémité de la survie, de plus en plus de voix s’élèvent en masse sous forme de vagues spasmodiques. La dernière grande manifestation contre le gouvernement et le Parti communiste eut lieu en mars dernier, après celles du 11 juillet 2021 – les plus importantes depuis août 1994 avec un bilan d’un mort et des dizaines de blessés. Plusieurs centaines de manifestants furent arrêtés, selon les estimations des ONG et, à l’heure actuelle, la répression aux opposants continue de façon systématique. Ainsi, dans le courant de ce mois de septembre, quatre militants ont été arrêtés : deux membres du parti Union pour Cuba libre, le médecin défenseur des droits humains et des libertés démocratiques Oscar Elias Biscet (fondateur du Projet Emilia qui a déjà passé douze ans en prison) et la leader des «Dames en blanc » Berta Soler. Dans ce contexte, où l’horizon s’assombrit chaque jour pour des millions de Cubains appauvris et sans solution immédiate en vue, l’exode a atteint un nouveau record. Depuis octobre 2001, plus de 850 000 ont fui la misère quotidienne pour trouver refuge dans le pays que le castrisme n’a cessé de diaboliser : les États-Unis. Selon une étude publiée en Espagne par le démographe cubain Juan Carlos Albizu-Campos, la population actuelle sur l’île est de 8,62 millions au lieu des 11 millions déclarés par la dictature. L’exode représente ainsi une baisse de la population de 18 %, et les prévisions indiquent une tendance à l’hausse dans les mois à venir.
Analyse d’une catastrophe annoncée
À l’heure actuelle, les États-unis portent la responsabilité d’avoir provoqué, avec l’embargo commercial, une des plus graves catastrophes humanitaires du XXe siècle. Dans ce sens, si aux yeux de ses défenseurs la révolution libératrice s’est transformée en gouvernement absolu et oppressif, afin de résister, dit-on, à la pression géopolitique menée par l’impérialiste Oncle Sam, ce n’est pas la faute de ses dirigeants. Voilà l’argument écran du discours officiel, une façon pour la dynastie au pouvoir de reconnaître son incapacité à générer une dynamique économique soutenable, une synergie sociale positive, en respectant toujours la devise évoquée dans le drapeau national qu’est en définitive la base d’un avenir prospère. Hissé pour la première fois en 1850, l’emblème national comporte deux bandes blanches (représentant la paix) et les trois côtés du triangle de couleur rouge (le sang versé par l’indépendance) font référence à la devise Liberté, Égalité, Fraternité. Au lieu de cela, le régime a accueilli à bras ouverts le flux de devises provenant de ses alliés asservissants, ceux qui attentent contre les droits civiques et qui à présent menacent concrètement les démocraties défaillantes en Amérique latine, dont la Bolivie est l’exemple d’une brûlante actualité.
À cet égard, l’exercice de la mémoire est toujours salutaire contre l’absolutisme ankylosé. Car au-delà de l’anachronique anti-impérialisme yankee en faveur du bouillonnant pro-impérialisme communiste, le plus grand échec du régime restera sans doute marqué à feu dans les annales : celui de ne pas avoir favorisé, durant plus de six décennies de totalitarisme, les garanties démocratiques capables de donner aux citoyens le libre choix du modèle politique sous lequel ils souhaiteraient forger un avenir digne pour leurs enfants. De ce fait, au fil des décennies marquées par des pénuries de tout ordre, l’embargo de Washington a incidemment joué le rôle de principe révélateur de la vraie nature du gouvernement castriste. À ce titre, son seul « exploit » au bout du compte a été de faire redorer parmi la population le souvenir d’une époque idéalisée : celle de la pré-révolution où, malgré la corruption étroitement liée à la maffia continentale capitaliste, la qualité de vie était un modèle de référence dans les Caraïbes. C’est ce que rappelait Fidel Castro lui-même, lors d’un débat, en 1971, avec les étudiants de l’université de Concepción, au Chili : « Fils de propriétaire foncier, j’avais eu la chance d’avoir reçu une formation intellectuelle particulière. Je suis entré à l’université où, sur 15 000 étudiants, 30 seulement étaient anti-impérialistes. » Ce propos paradoxal amène à conclure avec une citation de Juan Reinaldo Sanchez, qui a été le garde de corps personnel du leader maximo pendant dix-sept ans, avant d’être emprisonné « pour avoir osé démissionner » :« Et jusqu’à la fin de mes jours, une question rôdera dans ma tête : pourquoi les révolutions tournent-elles toujours mal ? Et pourquoi leurs héros se transforment-ils, systématiquement, en tyrans pires encore que les dictateurs qu’ils ont combattus ? »*
Eduardo UGOLINI
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* Juan Reinaldo Sanchez, La vie cachée de Fidel Castro, Éd. Michel Lafon, 2014, p.329.